Entretien avec Irène Dos Santos

Il n’y a pas une seule « portugalité », celle qui serait associée à la lusodescendance et renverrait à une assignation identitaire et sociale [entrevista a Irène dos Santos]

Doutorada em Antropologia pela EHESS-Paris, Irène dos Santos, após ter trabalhado na sua tese de doutoramento sobre migrações a partir do caso dos “lusodescendentes” em França, tem desenvolvido trabalho de investigação sobre os fluxos migratórios entre Portugal e Angola em contexto pós-colonial (CRIA-UNL). A entrevista foi concedida em francês no dia 28 de Fevereiro 2014.

Observatório da emigração (à frente OEm) – La première question que j´aimerais te poser c´est comment es-tu arrivée au thème des migrations et plus particulièrement à l´immigration portugaise ?

Irène dos Santos (à frente IS) – J’avais présenté un projet de recherche pour rentrer au Laboratoire d’anthropologie sociale de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Paris), pour travailler sur la mémoire familiale… je ne me souviens plus exactement du projet, mais Françoise Zonabend qui est devenue ma directrice de thèse m’a conseillé de resserrer mon objet d’étude et c’est là que l’idée m’est venue de travailler sur la mémoire en contexte migratoire, à partir du cas de l’immigration portugaise en France. Je n’avais alors aucun contact sauf mon père, immigré portugais arrivé en 1968. Les quelques membres de ma famille eux-mêmes immigrés étaient repartis au Portugal et nous vivions éloignés des sociabilités communautaires, mon père ne m’avait pas transmis sa culture : je n’ai jamais parlé portugais avec lui.

OEm – Ton lien familial a joué sur ce choix ?

IS – Oui, mais j’ignorais quand j’ai débuté cette recherche à quel point j’entamais aussi un travail très personnel, entre ‘quête et enquête’ pour reprendre l’expression de Nicole Lapierre.

OEm – Tu peux me dire exactement en quoi consistait ton projet doctoral ?

IS – Mon projet portait sur la transmission intergénérationnelle au sein de familles ayant gardé des liens avec le Portugal et pratiquant annuellement le ‘va-et-vient’ entre lieu d’installation et village d’origine et sur les reconstructions identitaires et mémorielles des descendants. Une perspective de recherche qui s’inscrivait dans la continuité des travaux menés par l’équipe dirigée par Michel Oriol sur la double appartenance des enfants de migrants portugais, et sur les impacts que pouvait avoir l’adhésion du Portugal à la CEE sur les constructions identitaires ; une perspective prenant ses distances avec l’approche assimilationniste qui a longtemps dominé les travaux sur l’immigration en France. Dans le cadre de mon DEA [master], j’ai effectué un premier terrain au sein d’une association portugaise de la région parisienne. Il s’agissait d’une association de type traditionnel, composée de quelques familles qui constituaient unrancho folclórico participant tous les week-ends à des festivals de danse folklorique portugaise, un contexte fortement endogame, avec une faible mobilité sociale, la direction de l’association étant depuis des années dirigée par le même groupe de parenté…

OEm – Et puis j´imagine que ton sujet a beaucoup évolué… comment ? Vers quelle direction ?

IS – Lors de ce premier terrain une jeune femme, Suzana, avait retenu mon attention. C’était la fiancée du président de l’association, ouvrier dans le B.T.P. ; elle aspirait à autre chose, voulait poursuivre des études supérieures à Paris, semblait hésiter… Entre temps une collègue m’avait présenté à sa gardienne d’immeuble, une portugaise dont la fille faisait des études de littérature à la Sorbonne et était membre – je reprends ses mots – « de la plus grande association de lusodescendants » : l’association parisienne Cap Magellan, créée en 1991. Ce type d’association est assez différent de celui créé par la première génération. Il montre plusieurs choses : la mise à distance de la culture populaire parentale par des binationaux en position de mobilité sociale ascendante; le dépassement du stigmate de la migration à travers la construction d’une « identité portugaise » valorisante, fondée sur une culture portugaise moderne, urbaine et savante, et véhiculant une image nouvelle du pays d’origine; l’élargissement de l’échelle des appartenances, à la fois familiales et locales, nationales et diasporiques, voire transnationales et globales… J’ai commencé un terrain auprès de différentes associations franco-portugaises créées par des jeunes étudiants, mais aussi auprès de la Coordination des Collectivités Portugaises de France (un collectif national d’associations) qui organisait au début des années 2000 des activités spécifiquement destinées à la dite deuxième génération, dont les « rencontres européennes de lusodescendants ». Je me suis intéressée aux « rencontres mondiales de lusodescendants » que le secrétariat d’Etat aux Communautés portugaises a commencé à organiser, sur le même modèle et par la suite  à la politique diasporique menée par l’Etat portugais à destination des « lusodescendants ». Ce qui m’a conduit à travailler la question du « nationalisme à distance », celle du mythe du retour, mais aussi des pratiques concrètes de « retour » de certains jeunes au Portugal au début des années 2000 et la confrontation avec un pays idéalisé qu’ils ne connaissaient pas.

OEm – Peux-tu me parler un peu plus de cette catégorie de « Lusodescendants » ? Comment l´as-tu utilisée ? Avec quelles précautions ?

IS – Il y aurait beaucoup à dire ! Elle illustre toute la complexité à laquelle nous sommes confrontés pour trouver des catégories d’analyse pertinentes, or il se trouve que le terme est rarement questionné par les chercheurs. Au Groupe d’Anthropologie du Portugal (Maison des Sciences de l’Homme de Paris) nous y avons consacré un numéro de la revue en 2003. Je l’utilise comme une catégorie emic propre à la narrative diasporique de l’Etat Portugais des « liens du sang »: à cette échelle, il s’agit d’une catégorie ethnique primordiale et englobante, permettant de désigner l’ensemble des descendants d’émigrants portugais dans le monde, quel que soit le sentiment d’appartenance des individus. Pour une association comme Cap Magellan, la catégorie, utilisée à partir du milieu des années 1990, a constitué un « label » permettant de sortir de la catégorie stigmatisante des « jeunes d’origine portugaise », donc immigrés : il s’agissait d’une mise à distance de la condition (sociale) immigrée qui s’opérait avec l’investissement dans une origine ethnique devenue valorisante. Je pense quelle sera peu à peu substituée par la catégorie « lusophone », ce qui peut aussi révéler l’évolution vers un modèle diasporique non plus centré sur le pays d’origine, le Portugal, mais se référant au monde lusophone…

OEm – À la lecture de ta thèse j´ai pu remarquer qu´il y a plusieurs rapports à « l´origine portugaise ». As-tu développé une typologie, des types-idéaux de ces jeunes ?

IS – J’ai essayé d’ouvrir mon terrain à des individus qui n’étaient pas impliqués dans des associations portugaises et qui ne revendiquaient pas dans l’espace public leur « origine portugaise ». Ce type d’enquête auprès d’une population par définition « invisible » est plus difficile à mener. Je n’ai pas cherché à construire des types idéaux, mais voulu montrer qu’il y avait différentes manières de se vivre comme descendant de Portugais/Français d’origine portugaise/franco-portugais/lusodescendant, etc. Il n’y a pas une seule « portugalité », celle qui serait associée à la lusodescendance et renverrait à une assignation identitaire et sociale : être visible dans les sociétés d’installation en y défendant à travers une légitimité acquise par une mobilité sociale ascendante les intérêts du pays d’origine.

OEm – Pendant la préparation de ta thèse tu as animé des ateliers de documentaire avec des jeunes « lusodescendants ». Quel était l´objectif et quels en ont été les résultats ? Comme tu sais je n´oublie pas l´un de ces petits films que j´ai trouvé très beau sur le silence…

IS – Il s’agit d’un atelier cinéma développé avec le cinéaste Pierre Primetens dans le cadre d’un programme culturel mené par la région Ile-de-France sur les mémoires de l’immigration. L’atelier a duré presqu’un an, avec trois groupes composés d’une dizaine de jeunes et s’est déroulé à Paris, Champigny-sur-Marne et à Viana do Castelo. L’objectif était double: initier le jeune public à la réalisation d’un film, dans ce cas un autoportrait, et saisir au sein de familles franco-portugaises la manière dont l’histoire de la migration avait été transmise. Le film qui t’a particulièrement  touchée parle des ruptures familiales engendrées par la migration, de la non transmission d’une histoire difficile, mais aussi de l’acceptation de cette absence de transmission. En tant qu’anthropologue, la grande surprise a été de voir à quel point la caméra constituait un outil permettant d’entrer dans l’intimité des individus et des familles : après quelques réticences, les parents se dévoilaient facilement, les familles rejouaient les conflits générationnels, nous avons pu aussi accéder aux espaces habités, même ceux exigus comme les loges de concierge, ce qui avait été compliqué durant mon terrain.

OEm – Aujourd´hui tu as changé de sujet de recherche… Tu travailles sur la mobilité entre le Portugal et l´Angola sous l´angle des migrations internationales. Peux-tu nous raconter un peu comment tu y es arrivée ?

IS – Ce projet de recherche est né de discussions avec des collègues français qui travaillent sur « l’immigration postcoloniale » en France et la question de la « mémoire coloniale ». Quand j’ai écrit mon projet de recherche postdoctoral, au cours l’été 2010, les flux migratoires entre le Portugal et l’Angola s’étaient accélérés depuis presqu’une dizaine d’années suite à la fin de la guerre civile, mais s’étaient réellement intensifiés et diversifiés de manière plus récente. Dans cette situation singulière de renversement des rapports Nord-Sud, il m’a semblé intéressant d’essayer de comprendre ce qui pouvait motiver les Portugais à émigrer en Angola et d’interroger l’idée même d’héritage colonial.

OEm – Dans quel cadre s’inscrit cette recherche et où en es-tu en termes de résultats ?

IS – Il s’agit d’une recherche financée par la Fundação para a Ciência e a Tecnologia que je mène en tant que chercheur associé au Centro em Rede de Investigação em Antropologia (CRIA) de l’Universidade Nova de Lisboa. J’ai travaillé sur plusieurs types de populations : en réalisant au Portugal des entretiens auprès de « Retornados » et en participant aux rencontres annuelles qu’ils organisent pour revivre et se remémorer l »expérience africaine’, certains d’entre eux ou leurs enfants circulent depuis les années 2000 entre le Portugal et l’Angola dans le cadre d’activités économiques transnationales; en réalisant une enquête de terrain à Luanda auprès de jeunes « émigrants » et « expatriés » portugais et luso-angolais.

OEm – Te situes-tu alors dans la ligne des théories postcoloniales qui se posent la question de la continuité chronologique du passé colonial et de la migration portugaise qui en a résulté ?

IS – Bien sûr j’interroge le rapport au passé colonial et notamment l’absence d’un questionnement critique sur le colonialisme au Portugal. Mais en travaillant sur les subjectivités migrantes, il s’agit pour moi de tenter d’aller au-delà de l’idée de « persistance de l’histoire » ou encore de « nostalgie postcoloniale ».

OEm – Comment s’est passé ton terrain en Angola ? As-tu eu accès à des données statistiques récentes sur ces jeunes émigrés en Angola ? Quelles ont été les conditions d’accueil de ta recherche là-bas ?

IS – Ce terrain d’un mois a d’abord été difficile à organiser : l’obtention du visa a été compliquée puisque je n’avais pas de contact institutionnel avec un centre de recherche angolais. Pour différentes raisons sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici, l’immigration est un sujet sensible en Angola. J’ai rapidement renoncé à obtenir des données statistiques en me concentrant sur des données qualitatives recueillies par le biais d’entretiens et d’observation de pratiques de sociabilité. La vie sur place est extrêmement chère et je n’avais pas trouvé de familles pour m’accueillir. Je suis restée quelques jours dans un hôtel de la Baixa de Luanda, puis j’ai emménagé chez une expatriée française à l’entrée d’unmusseque ; elle m’a appris à utiliser les transports publics et à me déplacer à pied dans la ville : j’étais beaucoup plus mobile et autonome que certains immigrants portugais qui venaient d’arriver et restaient reclus dans leurs logements. Je les rencontrais chez eux et/ou dans des restaurants, cafés portugais de la Baixa, ou sur l’Ile de Luanda. Les profils socioéconomiques et les projets migratoires sont très diversifiés. Les liens avec l’Angola, qu’ils soient historiques ou familiaux, n’apparaissent généralement que très peu dans l’explicitation des raisons de l’émigration, sauf pour les luso-angolais, des jeunes nés au Portugal de couples mixtes de « Retornados » qui cherchent à acquérir la nationalité angolaise. Ceci incite aussi à approfondir les études menées sur l’intégration de cette population (les « Retornados » métis) au Portugal.

OEm – Depuis 2010 tu co-organises le séminaire « Mémoires et patrimonialisations des migrations » à l’EHESS. D’où vient l’idée ou la nécessité de créer ce séminaire ?

IS – Le phénomène d’institutionnalisation politique de la mémoire (comme les lois mémorielles) et de patrimonialisation, qui traduit un rapport spécifique au temps dans nos sociétés, a aussi touché la question migratoire, avec par exemple la création au sein de l’UNESCO d’un réseau de musées de la migration visant la reconnaissance et l’intégration des populations déplacées. Les migrants eux-mêmes ont commencé à œuvrer dans le cadre associatif à la constitution d’archives pour la (re)connaissance de leur passé, alors qu’au niveau familial nous avions observé sur le terrain une faible valeur accordée à l’histoire migratoire et l’absence d’un récit explicite associé à l’existence de souvenirs négatifs, honteux, de ce passé.  L’idée nous est venue d’interroger les mécanismes qui visent à construire les mémoires collectives des migrations et à les transformer en patrimoine, donc à leur donner une valeur. Comprendre comment et pourquoi ces processus émergent, qui en sont les acteurs, dans quels lieux, avec quels objets, etc., dans une perspective comparée de recherche.

OEm – Enfin, j’aimerais que tu me parles un peu plus du concept de mémoire dans le cadre des migrations et la façon dont tu le saisis dans tes recherches.

IS – Penser en termes de mémoire sociale en contexte migratoire s’est paradoxalement inscrire la réflexion dans une logique de continuité sociale et culturelle, et  renvoyer l’expérience migratoire vécue à du passé (selon la définition que proposent certains historiens de la mémoire collective immigrée). Or dans le contexte intra-européen, le cas de la migration portugaise montre bien que quarante ans après cette expérience migratoire reste de l’ordre du présent (du fait des va-et-vient et des solidarités entre générations dans cette mobilité).  Il est intéressant d’observer que si les phénomènes mémoriels sont dynamiques, sans cesse alimentés par les mobilités et liens transnationaux des migrants, la patrimonialisation fixe les représentations du passé migratoire. Penser en termes de mémoire collective, c’est aussi analyser la mémoire d’un groupe, donc les effets de l’appartenance à un collectif sur les souvenirs que conservent les individus. Les appartenances multiples, les identités et imaginaires multi-situés des migrants rendent l’étude de ces processus particulièrement passionnants.

OEm – As-tu envie de nous parler d’autres aspects importants de tes recherches pour l’étude de l’émigration portugaise ?

IS – J’aimerais surtout profiter de cette occasion pour dire combien il est important de continuer à travailler sur l’émigration portugaise – les flux récents sans laisser tomber les anciens – dans une perspective comparée entre les différents contextes d’installation, comme j’avais commencé à le faire avec mon collègue brésilien Eduardo Caetano da Silva, dans une recherche France/Brésil sur la lusodescendance, ou João Sardinha à partir du cas canadien et français. Il faudrait aussi poursuivre les travaux sur les différentes formes de participation des Portugais dans les sociétés d’installation, par exemple sur la participation politique et la citoyenneté en générale, comme a commencé à le faire Jorge Portugal Branco sur les élus portugais municipaux portugais et français d’origine portugaise.

Entretien réalisé par Inês Espirito Santo dans le cadre du Observatório da Emigração.

Poésie entre deux rives, António Caetano

Immigrés économiques ou exilés politiques, les poètes portugais de France expriment, qu’ils soient populaires ou érudits, les sentiments et les messages propres de tous ceux qui vivent entre deux rives, entre deux mémoires. Leur voix poétique est l’écho des drames et des espérances de milliers d’hommes et de femmes partis à la recherche d’un avenir meilleur. Publiée initialement dans d’éphémères bulletins ou journaux associatifs, puis diffusée à travers les radios libres ou les radios locales, grâce au dur travail de quelques francs-tireurs agissant hors des circuits politiques et intellectuels reconnus, l’expression poétique portugaise en France tente de gagner une nouvelle “visibilité”. Dans la présente rubrique, tous les 15 jours environ, nous présenterons un de ces poètes, à travers une brève notice biographique et quelques poèmes.

António Caetano (né en 1933, à Baleizão), a passé quelque temps dans les prisons de la PIDE pour avoir pris part aux mouvements paysans de 1954, en Alentejo. C’est en prison qu’il a écrit quelques uns de ses poèmes, dans le plus pur style de la poésie populaire orale. Après un emploi dans les chantiers navals de Lisbonne, il quitte le Portugal et arrive en France en 1967, où il travaillera comme maçon et aura en même temps une intense acticité de militant associatif au sein de l’AOP. Nous découvrons ses poèmes à travers l’émission “Quimera da Noite” (Radio Alfa) et dans la revue “Latitudes” (n°5, avril 1999). Mas que grande alvorada que em Portugal se deu a ditadura morreu matando-a a força armada mas que linda madrugada que até aos cegos deu vista tinha que ser artista quem este golpe formou e sem haver sangue acabou com a ditadura fascista. (extraits de “A ditadura morreu”, in “Latitudes”, n°5, avril 1999).

Poésie entre deux rives : Alice Machado, les songes de Rafael

Immigrés économiques ou exilés politiques, les poètes portugais de France expriment, qu’ils soient populaires ou érudits, les sentiments et les messages propres de tous ceux qui vivent entre deux rives, entre deux mémoires.

Leur voix poétique est l’écho des drames et des espérances de milliers d’hommes et de femmes partis à la recherche d’un avenir meilleur. Publiée initialement dans d’éphémères bulletins ou journaux associatifs, puis diffusée à travers les radios libres ou les radios locales, grâce au dur travail de quelques francs-tireurs agissant hors des circuits politiques et intellectuels reconnus, l’expression poétique portugaise en France tente de gagner une nouvelle “visibilité”.

Dans la présente rubrique, tous les 15 jours environ, nous présenterons un de ces poètes, à travers une brève notice biographique et quelques poèmes.  

 

Alice Machado

 

couv Les songes de Rafael - A Machado

 

Née au Portugal, dans la province de Trás-os-Montes, qui servit de cadre à son premier roman, « À l’Ombre des montagnes oubliées » (1991), Alice Machado arrive en France au début des années 70, après un voyage « a salto », comme des milliers de ses compatriotes. Les premières années furent difficiles, dans un logement social d’une cité ouvrière, avec ses parents et ses frères.

Puis ce fut l’apprentissage du français à l’école (« j’adorais apprendre cette langue »), les petits boulots, l’Alliance française et l’entrée à l’université, à Paris, où elle obtient une maîtrise en Lettres Modernes et découvre Gérard de Nerval, qui deviendra son sujet de doctorat et de son essai, « Les figures féminines dans l’œuvre de Gérard de Nerval ».

Auteur de plusieurs recueils de poésie, de romans et d’essais, directrice littéraire aux éditions Lanore, elle a aussi participé à de nombreux événements littéraires majeurs, en France et à l’étranger.

LAPIS LAZULI

C’était au crépuscule d’un jour

En octobre je crois,

J’étais ivre, comme toujours

Je regardais les bateaux dériver

Assise sur un rocher de Leça

Une ville maritime

Antonio Nobre était là

Le poète désespéré Seul,

En silence, déjà en deuil de moi

Et puis à ma droite il y avait mon ancêtre

L’immense Miguel Torga

Lui,

Il me parlait une langue que j’avais entendue autrefois dans mon enfance là-bas, en plein coeur de ma patrie intérieure maintenant brisée pour moi, dans une ville de granit un soir traversant avec mes frères une rivière qui cache une frontière et les gardes, qui tirent sur les enfants, l’effroi…

(Alice Machado,  “Lapis lazuli”, extraits, in “L’agitation des rêves”)

J’ENTENDS LA VOIX DE MON PÈRE

Ce soir-là des nuages en chair vive flottaient au-dessus des montagnes d’autrefois, tout près d’ici sous le ciel de Ribeira. Il y avait une paix presque irréelle une passion d’attente juste avant la grande poussée d’avril et celle des œillets rouges impatients de faire exploser la sève de leur liberté Mais à quoi bon rester ici? Disait la voix de mon père: Tu es la poésie errante l’émoi de l’humanité Pars, cherche encore reviens la tête emplie de rêves déchiquetée par les vents Et ramène-moi les mirages du pays des chimères Et surtout le parfum de celui des Lumières Mais, je le sais déjà: lorsque tu arriveras dans ma demeure de granit Cherche-moi dans celle de l’Éternité…

(Alice Machado, extraits, in “Les songes de Rafael”)

Poésie entre deux rives – António TopaPoesia entre duas margens – António Topa

Immigrés économiques ou exilés politiques, les poètes portugais de France expriment, qu’ils soient populaires ou érudits, les sentiments et les messages propres de tous ceux qui vivent entre deux rives, entre deux mémoires. Leur voix poétique est l’écho des drames et des espérances de milliers d’hommes et de femmes partis à la recherche d’un avenir meilleur. Publiée initialement dans d’éphémères bulletins ou journaux associatifs, puis diffusée à travers les radios libres ou les radios locales, grâce au dur travail de quelques francs-tireurs agissant hors des circuits politiques et intellectuels reconnus, l’expression poétique portugaise en France tente de gagner une nouvelle “visibilité”.

Dans la présente rubrique, tous les 15 jours environ, nous présenterons un de ces poètes, à travers une brève notice biographique et quelques poèmes.

António Topa

capa O fio da palavra

 À travers sa poésie, António Topa évoque son propre itinéraire et manifeste ses sentiments, mais en même temps il exprime ceux de milliers d’hommes et de femmes qui se sont opposés à la guerre coloniale en Afrique, ont fui la dictature et la misère à la recherche d’un avenir meilleur et qui vivent aujourd’hui entre deux rives, entre deux mémoires. Sa poésie oscille entre réalisme et lyrisme, dans un langage libre du poids des conventions.

Né en 1948, à Porto, António Topa est issu d’une famille très modeste. Il a vécu son enfance et son adolescence  dans une « ilha » (« île »), nom donné aux habitations ouvrières de Porto. Cette période est évoquée dans son recueil de poèmes « O fio da palavra », publié en 1993 par les éditions ACAP 77 (Seine-et-Marne). Regroupés dans une première partie intitulée « Resistência », les poèmes écrits entre 1965 et 1970 contiennent déjà les interrogations et les inquiétudes du poète quant à son avenir, à celui de ses compatriotes et de son pays.

Très tôt il manifeste son opposition au régime politique de son pays et en 1968 il participe au 1er Congrès de l’Opposition Démocratique, à Aveiro. En 1969, il se réfugie en France et sera tour à tour secrétaire-général du Syndicat des Travailleurs Consulaires à l’Étranger, professeur d’éducation spécialisée et interprète, activité qu’il exerce actuellement. En tant que militant politique, il sera candidat au mandat de député sur les listes de l’APU et CDU de l’émigration.

Dans son deuxième recueil, bilingue, « Sur les lèvres du silence/Pelos lábios do silêncio” (éd. Lusophones, Paris, 2000), dominent les thèmes de l’exil, la saudade, l’amour et le sentiment d’être toujours en partance. L’apparente facilité avec laquelle António Topa construit ses vers nous laisse deviner que pour lui la poésie est un lieu d’exil naturel.

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DESCOBRIMENTO DO CAMINHO PARA A EMIGRAÇÃO

Dantes era a Índia

canela cravo oiro

diamantes insinuando

no colo das fidalgas

um brilho

de prata e puta

Hoje

mulher de blusa de chita

saia rota e anónima

mas alta como o silêncio

atravessas a Espanha a pé

carregada de suor sangue

saudade e raiva

como outrora teus irmãos

brancos escravos negros

ontem hoje nem sempre

Outrora do Restelo para o Brasil

armados com a cruz medindo o mundo

mas desarmados de coragem

contando os filhos e as lágrimas

Outrora cruzando raças e sangue

semeando medos e tempestades e

hoje de Monção à Ponta de Sagres

receando homens ventos e marés

parindo filhos para o estrangeiro

Dantes era a Índia orgulho da raça

Hoje descobres Auchwitz em Austelitz

Paris e o boulevard St. Michel

« poboado » de desfigurados artistas

engordando-se de “coltura”

lá pelas “sorvonnes”

ou então em obscuros hotéis

e no “batiment” com “vacanças” pagas

dez contos em moeda portuguesa

Assim encobres o teu destino

descobrindo os seios mirrados

velha puta

(in “O fio da palavra”)

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HISTÓRIAS DA HISTÓRIA

Ontem hoje

quem a história faz

sabe-lhe o amargo gosto

ontem hoje

pedalando pedalando

pesadas bicicletas

de sono e ódio

dos carvalhos para o porto

ontem hoje

às quatro ou

às cinco da manhã

pedalando pedalando

dos carvalhos para o porto

ou de grijó ou de sandim

pedalando pedalando

pesadas bicicletas

de sono e ódio

ou a pé

carregando a vida

e a marmita

carregando o ódio

ontem hoje

pesados comboios

atravessando a espanha

para alimentar

as fábricas da europa

e no metro de paris

carregando um sonho

antigos camponeses ontem

hoje operários apressados

que a indústria

e a europa reclamam

e trituram

(in “O fio da palavra”, excertos)

Immigrés économiques ou exilés politiques, les poètes portugais de France expriment, qu’ils soient populaires ou érudits, les sentiments et les messages propres de tous ceux qui vivent entre deux rives, entre deux mémoires. Leur voix poétique est l’écho des drames et des espérances de milliers d’hommes et de femmes partis à la recherche d’un avenir meilleur. Publiée initialement dans d’éphémères bulletins ou journaux associatifs, puis diffusée à travers les radios libres ou les radios locales, grâce au dur travail de quelques francs-tireurs agissant hors des circuits politiques et intellectuels reconnus, l’expression poétique portugaise en France tente de gagner une nouvelle “visibilité”.

La Porte de Mia CoutoA Porta de Mia Couto

Il était une fois une porte qui, au Mozambique, ouvrait vers le Mozambique. Tout près de la porte, il y avait un portier. Un indien mozambicain est arrivé et a demandé à passer. Le portier a entendu des voix disant :

–         Ne  lui ouvre pas ! Ces gens-là ont la manie de passer devant !

Et le portier ne lui a pas ouvert la porte. Est arrivé un métis mozambicain, voulant entrer. À nouveau, on a entendu des protestations :

–         Ne le laisse pas passer. Ceux-là ne sont pas la majorité !

Un blanc mozambicain est apparu et le portier a été assailli de protestations :

–         N’ouvrez pas. Ceux-là ne sont pas des gens de notre origine !

Et la porte est restée fermée. Un noir mozambicain est arrivé et a demandé à passer.  Et tout de suite se sont levées des protestations :

–         Celui-là est  du Sud . On en a marre de ces préférences  …

Et le portier lui a nié le passage.

Un  autre mozambicain de race noire est apparu, réclamant le passage :

–         Si vous laissez passer celui-là, nous allons t’accuser de tribalisme !

Le portier a gardé à nouveau la clé, ne consentant pas à la demande.

C’est alors qu’est apparu un étranger, donnant des ordres en anglais, avec  le portefeuille plein d’argent. Il a acheté la porte, a acheté le portier et mis la clé dans la poche.

Depuis lors, aucun autre mozambicain n’est passé par cette porte-là,  par où, à une époque passée, ouvrait du Mozambique vers le Mozambique.

* Cette expression a un lien avec une autre, datant des années 80, où il était question de définir le Mozambique comme le pays du «deixa-andar» (laisse-aller, laisse-passer). «Deixa» est devenu «Queixa» qui signifie plainte mas aussi n’importe quelle protestation

MIA COUTO, Esquisse de portrait par Albano Cordeiro

une voix du Mozambique

Mia Couto, écrivain, a toujours vécu au Mozambique. La mozambicanité l’imprègne. Dés sa jeunesse Mia a adhéré au combat d’idées et d’action pour la libération du pays de la domination coloniale.

Militant et intellectuel, il s’est engagé dans le militantisme au sein du parti gouvernemental. Il fut ainsi directeur de l’Agence d’Information du Mozambique (AIM), de la revue mozambicaine «Tempo» et du quotidien pro-gouvernemental «Noticias» de Maputo. Ce fut sa période d’activité journalistique qu’il quitte pour l’université (diplôme de biologiste) et pour  l’action pro-environnementale. Cette démarche a quelques fondements dans un désir d’avoir  l’indépendance dans ses jugements.

Mia Couto a produit plus d’une vingtaine d’œuvres littéraires et obtenu divers prix littéraires  internationaux dont le Prix Camões (2013), qui s’adresse  à la littérature lusophone.

MOZAMBIQUE – quelques repères

Les comportements sociaux sont étroitement liés à des idées «toutes faites» voire à des idéologies plus ou moins repérables.

Au  Mozambique, les «idées faites» comme les propos «anti-phrases faites» et les idéologies portent la trace du contexte des relations entre les diverses composantes de la population, pendant la période coloniale.

Après l’indépendance (1975), le rapport des individus et groupe au pouvoir – naturellement très centralisé et concentré – va changer. Mais en définitive, il reste le même. Qui – d’une manière ou d’une autre – peut être associé –par des indices réels ou imaginairement- au pouvoir en place, a le risque d’être considéré «des nôtres». Si, par contre, la personne ou le groupe, montre des indices jugés «contraires» des autres cités précédemment, sera pris –du moins spontanément- comme  «un-e qui n’est pas des nôtres». Voir comme quelqu’un-e dont  il faudra se méfier.

Parmi ceux qui spontanément sont pris comme étant «du côté du pouvoir», il y a, comme dans d’autres secteurs de la société, des différentes identifications avec ce pouvoir. Ainsi, certains mozambicains, ethniquement désignés, sont considérés – pour des raisons qui sont considérées valables par un grand nombre de mozambicains – comme les «artisans de la libération nationale». Ils proviennent de deux peuples du Mozambique : les Macondes, et les Xanganas. Les Macondes habitent la région du Nord, à la frontière avec la Tanzanie. C’est la région qui a le plus participé à la «guerre de libération». Ils sont, depuis l’indépendance,  particulièrement représentés dans les forces armées à divers échelons. Les Xanganas sont le principal peuple habitant la région Sud du Mozambique (entre le fleuve Save et la frontière sud avec l’Afrique du Sud) où se trouve la capital Maputo. Une région avancée, sur le point de vue d’implantations scolaires, et d’emploi qualifié. Sont originaires de cette région la plupart des leaders politiques qui ont construit le parti gouvernemental et en ont assumé divers postes de direction.

Cette situation expliquerait pourquoi d’autres peuples du Mozambique ont le sentiment d’avoir été «laissés pour compte». C’était parmi ces peuples, comme les Sena, les Ndau, les Macua, les Shona et autres, que le mouvement rebelle RENAMO (Resistance Nationale du Mozambique) a recruté pendant la guerre civile qui a duré une quinzaine d’années (1977- 1992). C’est à dire plus que la lutte contre le colonialisme portugais. Ceci étant, cela ne signifie pas que a RENAMO était l’interprète des revendications de ces peuples. La reconnaissance de leurs identités collectives était certes prise en compte ne serait-ce qu’à cause de leur engagement, mais celui-ci avait bien d’autres  objectifs, dépassant ceux des combattants eux-mêmes. A guerre civile pouvait également être vue comme la lutte de deux élites luttant pour avoir chacune sa part de pouvoir, dans la mesure où l’une d’entre elles une avait le sentiment d’en être écartée.

Ce texte a d’abord été publié dans le blog d’Albano Cordeiro.

O PAÍS DO QUEIXA-ANDAR

A Porta
Era uma vez uma porta que, em Moçambique, abria para Moçambique. Junto da porta havia um porteiro. Chegou um indiano moçambicano e pediu para passar. O porteiro escutou vozes dizendo: 
 Não abras! Essa gente tem mania que passa à frente!
E a porta não foi aberta. Chegou um mulato moçambicano, querendo entrar. De novo, se escutaram protestos:
– Não deixa entrar, esses não são a maioria. 
Apareceu um moçambicano branco e o porteiro foi assaltado por protestos: 
-Não abre! Esses não são originais!
 

E a porta não se abriu. Apareceu um negro moçambicano solicitando passagem. E logo surgiram protestos: 
– Esse aí é do Sul! Estamos cansados dessas preferências…
 

E o porteiro negou passagem. Apareceu outro moçambicano de raça negra, reclamando passagem: 
– Se você deixar passar esse aí, nós vamos-te acusar de tribalismo!
 

O porteiro voltou a guardar a chave, negando aceder o pedido. 
Foi então que surgiu um estrangeiro, mandando em inglês, com a carteira cheia de dinheiro. Comprou a porta, comprou o porteiro e meteu a chave no bolso. 
Depois, nunca mais nenhum moçambicano passou por aquela porta que, em tempos, se abria de Moçambique para Moçambique. 
 
Mia Couto

L’exode portugais par Cristina SemblanoO Exodo português

Cet article a été publié dans Libération. L’auteure, Cristina Semblano, nous a autorisé à le publier également sur notre blog. L’illustration est de Gui Castro Felga.

On était loin d’imaginer qu’une saignée équivalente à celle de la décennie 60, qui a vu le grand exode des Portugais vers l’Europe, pourrait se reproduire. Les chiffres forcément approximatifs pointent des flux semblables, voire supérieurs, à ceux de cette époque. C’est le cas de l’année 2012 où les sorties au rythme moyen de 10 000 par mois pour une population d’environ 10,5 millions d’habitants ont dépassé celles de l’année 1966.

Dans les années 60, les Portugais fuyaient la misère, la dictature et la guerre coloniale. Aujourd’hui, à cinquante années de distance et une révolution étant passée par là, que fuient-ils ces Portugais de tous âges, de toutes qualifications, qui partent seuls ou en famille, par milliers (1) ? Ils fuient le chômage, l’absence de perspectives, la promesse de misère ou de non-vie d’un pays soumis à la dictature de la troïka.

On sait que des flux importants atteignent d’autres pays sous l’empire direct ou indirect de la troïka, mais le Portugal est à coup sûr le seul où un gouvernement appelle de façon éhontée ses concitoyens à émigrer. Et qui se réjouit de la baisse toute relative du chômage que la débandade de cette population est en train de provoquer, la mettant sur le compte de la réussite d’une politique qui met le pays à sac et paupérise encore davantage la population de l’un des Etats les plus pauvres et les plus inégalitaires de l’UE.

L’émigration portugaise n’est pas un phénomène nouveau et elle était difficilement évitable dans un pays que l’entrée dans la zone euro a condamné à une quasi-stagnation économique. Mais elle est devenue plus importante après la crise, à la faveur d’un taux de chômage qui n’a cessé d’augmenter et se situe, pour les jeunes, sur la trajectoire des 40%.

Variable d’ajustement des budgets portugais de par la baisse des transferts sociaux qu’elle entraîne et l’augmentation de la rentrée de recettes dans le pays, l’émigration joue également un rôle de décompresseur social : il est en effet difficile d’imaginer que des explosions sociales plus vastes et/ou plus violentes n’auraient pas eu lieu en son absence.

Cette émigration de masse a des effets dévastateurs pour le pays, au-delà des drames humains, personnels et familiaux, qu’elle renferme. Elle accentue le vieillissement de la population portugaise qui, fruit de la vague migratoire des années 60, de la guerre coloniale et de taux de natalité parmi les plus bas d’Europe, est déjà l’une des plus vieillies du monde et de l’UE. Ce faisant, elle accentue la baisse de la natalité : en 2012, le Portugal a renoué avec les taux de la fin du XIXe siècle et sa population a diminué, sous le double effet d’un solde naturel et d’un solde migratoire négatifs. S’il devait se poursuivre, ce mouvement pourrait entraîner à terme et, comme l’a souligné le géographe portugais Jorge Malheiros, la disparition du pays.

Sur le plan économique, les conséquences de cet état de choses sont à terme calamiteuses, mais la première et la plus dramatique est celle qui consiste à priver le pays des forces vives qui en constituent la trame et en assurent la survie, ces forces vives dont le pays aurait cruellement besoin dans le cadre de la remise à plat de son modèle de développement, qui est, avec l’architecture institutionnelle dysfonctionnelle de l’euro, à la base de sa dépendance extérieure.

Ici on touche au cœur même de l’un des paradoxes de cette Europe, ayant englouti des pays aux degrés de développement disparates, qui fait qu’aujourd’hui ce sont les plus pauvres parmi eux qui assument les coûts de «production» (développement, éducation, formation) d’une main-d’œuvre «exportée» clé en main vers les pays plus riches du centre, grands destinataires des nouveaux migrants de l’Europe du Sud.

Ce phénomène, qui n’est pas nouveau, est particulier parce qu’il allie son caractère intra-européen massif à une composition de la main-d’œuvre où le poids de celle qualifiée est plus important que par le passé. Le coût de production de cette main-d’œuvre a été assuré en grande partie par le budget de l’Etat portugais, à la faveur de la révolution qui a vu naître un système de santé et une école publique accessibles à tous les citoyens.

Ce paradoxe, loin d’être un dégât collatéral, s’inscrit dans le processus de transfert d’accumulation en cours, du travail vers le capital et de la périphérie vers le centre. Aux conséquences dévastatrices pour le Portugal, ce phénomène, qui peut bénéficier les pays du centre, n’est pas sans provoquer des dégâts majeurs au niveau des salariés de ces pays, concurrencés par une main-d’œuvre qui travaillant moins cher, pour une qualification identique, voire supérieure, exerce une pression intolérable sur les salaires.

Les exemples ne manquent pas : enseignantes devenues concierges dans les beaux quartiers parisiens, diplômés de l’enseignement supérieur travaillant comme manœuvres dans le bâtiment, architectes et ingénieurs exerçant leur métier sous couvert d’autres qualifications avec des salaires de 20% à 30% inférieures à ceux de leurs homologues. Et que dire des travailleurs non qualifiés, qui constituent la grande masse des travailleurs exportés par le Portugal, aux salaires et situations de misère ?

Encore n’avons-nous pas parlé de ces travailleurs dits détachés qui sont légion dans le bâtiment : la «découverte» récente de soixante ouvriers portugais travaillant à 2,06 euros de l’heure en Belgique a même ému le Premier ministre belge qui a crié au dumping salarial, comme si ce dernier n’avait pas été rendu possible par les textes européens, dans lesquels l’harmonisation sociale est absente.

Les politiques de la troïka ont permis d’ouvrir grand la porte de cette immense braderie sociale qu’est devenue l’Europe où se pressent des milliers d’hommes et de femmes que le Portugal a expulsés de leur propre pays, tandis que dans le même temps il y attire les retraités aisés du centre, par des exemptions fiscales prometteuses de retraites dorées.

(1) On évalue à un demi-million le nombre de portugais ayant émigré après la crise.

CRISTINA SEMBLANO

Nous refusons ce parrainage public, nous sommes indivisibles (Marine Lepen et les portugais)Recusamos este apadrinhamento público, somos indivisíveis

Ce texte a initialement été publié le 26 février 2012

Environ 5 millions de téléspectateurs étaient devant leur poste de télévision lorsque Marine Le Pen a annoncé que si elle gagnait les élections présidentielles de 2012 elle irait fêter cette victoire « Chez Tonton, un restaurant portugais très sympathique, situé à Nanterre, à côté du siège du Front National ». Elle répondait ainsi à une série de questions que l’animateur de l’émission de France 2, intitulée “Des paroles et des actes”, posait à chaque candidat invité. Première constatation : la réponse de Marine Le Pen a été bien préparée et elle constitue le point d’appui d’un programme politique dangereux et, admettons-le, parfois intelligent. Cependant, ce programme, plutôt intelligible qu’intelligent, peut se manifester soit à travers la “déconstruction organisée de l’euro », soit à travers une attitude contre « l’immigration comme arme au service du grand capital » (projet présidentiel du FN).

Cette référence au tonton portugais se ramifie en une triade de significations que nous pourrions développer à travers une théorie sémiotique complexe. Toutefois, étant données mes connaissances insuffisantes en sémiologie, je limiterai mon analyse du message de Marine Le Pen à la suivante banalité: son discours génère des signaux qui à leur tour produisent du sens.

Nous verrons alors que dans une simple phrase (non arbitraire) proférée par Marine Le Pen, dont le contenu traduit une idiosyncrasie partisane, il y a aussi la genèse de la fabrication d’un étranger acceptable. Enfin, il sera intéressant également de démontrer l’incartade du discours du FN par analogie avec la rhétorique officielle française concernant l’immigration portugaise depuis les années 60.

Revenons à notre triade de significations, à savoir :

1) l’effet recherché par le message de Marine Le Pen;
2) l’ “ouvriérisme” implicite dans son message;
3) son programme électoral centré essentiellement sur la question de l’immigration.

1) La reconnaissance sociale est une demande récurrente lorsqu’il s’agit d’une collectivité immigrée ancrée dans un pays hostile à la reconnaissance de la différence, comme c’est le cas de la France. Marine Le Pen, en faisant l’éloge d’un seul immigré portugais en France et d’un seul restaurant portugais, fait un clin d’œil à toute la communauté portugaise : presque 600 000 nés au Portugal, selon le dernier recensement, sans compter l’immigration récente, ce qui fait au total plus d’un million si nous comptons également ceux qui sont d’origine portugaise,  nés en France mais ayant un fort sentiment d’appartenance au pays de leurs parents.

Ainsi, par ses mots, Marine Le Pen touche les sentiments les plus sincères d’amour et d’orgueil d’être portugais immigré. À travers cette tranche horaire privilégiée de la télévision, elle entérine une réputation publique déjà acquise à propos de l’effort et de la contribution des Portugais dans la construction de la France. Mais ne soyons pas naïfs, Marine Le Pen, fille et héritière de Jean-Marie Le Pen, n’est pas aussi intéressée par les Portugais que par les Français de souche ou par la priorité nationale. Elle vise l’électorat français humaniste qui n’est pas encore totalement convaincu par l’unité nationale, car finalement il y a les bons étrangers et les étrangers indésirables, les étrangers blancs et les étrangers qui ne sont pas blancs. Ceux-ci constitueront toujours un « poison contre la cohésion nationale » (projet présidentiel du FN).

2) En citant un restaurant portugais à Nanterre, Marine Le Pen veut aussi montrer la modestie du choix fait par son parti par opposition aux grands banquets de l’élite réalisés par ses concurrents (par exemple, au Fouquet’s). Modestie de choix qui nous renvoie au respect du travail des ouvriers. Quelle image plus éloquente que celle du travailleur portugais, honnête et sérieux, qui après des années de labeur parvient à occuper un poste de chef de chantier dans la construction civile ? Ce même brave immigré qui par son inégalable rigueur au travail a pu acquérir dans la hiérarchie socio-professionnelle un statut qui fait de lui inévitablement le bourreau des autres immigrés situés au  bas de cette hiérarchie (cf. Jounin, « Chantier interdit au public »). Le restaurant portugais, où on sert des plats copieux, renvoie à cette image de l’ouvrier dont la valeur du travail manuel rapporte beaucoup, sans obstacles superficiels ou immatériels. Un restaurant du peuple et pour le peuple, bien enraciné dans un quartier populaire où les électeurs normaux qui n’ont rien de spécial peuvent s’offrir sans difficulté un repas pour 9 euros.

3) La référence aux Portugais est également importante car elle permet de mieux comprendre un programme politique où l’omniprésence de l’immigration est la clé de « l’honneur d’être Français » (projet présidentiel du FN). Le problème ce ne sont pas les Portugais qui, eux, ne font rien d’autre que de nous offrir une bonne gastronomie, ainsi que leur force de travail, et qui ne constituent pas en règle générale une source d’instabilité pour le pays. Le vrai problème ce sont « les conflits interethniques, les revendications communautaires et les provocations politico-religieuses, conséquences directes d’une immigration massive qui exerce une influence négative sur l’identité nationale et qui apporte avec elle une islamisation de plus en plus visible » (projet présidentiel du FN). On retourne ainsi au clivage utilitaire du bon étranger et de l’étranger indésirable, en insistant sur cette différence car la « double nationalité ne sera plus autorisée, à l’exception des cas de la double nationalité avec un autre pays de l’Union Européenne » (projet présidentiel du FN).

La spécificité portugaise que Marine Le Pen tente d’introduire et de faire passer dans l’opinion publique n’est pas inédite. Dès les années 60/70 les discours des hommes politiques français faisaient référence aux Portugais comme étant des immigrés « bien intégrés » (cf. Albano Cordeiro). On s’est alors abondamment servi de cette image durant les années de très forte immigration (années 60/70) afin de freiner la main-d’œuvre algérienne (image conflictuelle et radicalement différente,  alimentée par la douloureuse guerre d’indépendance).

Au-delà d’une rationalité « raciale » sous-jacente, la rhétorique dominante des Portugais « bien intégrés » en France est fabriquée à partir de l’occultation de leurs expériences et de leur hétérogénéité. En même temps, ce type de discours, soit de la part de Marine Le Pen, soit de l’ambassadeur du Portugal, soit de Sarkozy, a pour conséquence de stigmatiser toute une population dans divers champs sociaux, comme l’explique étonnamment très bien l’article du journal Le Monde intitulé « Chez Tonton, le vrai QG du FN ».

Et maintenant que je viens d’accorder plus de temps que je n’aurais dû au projet présidentiel du FN, je dois dire qu’en tant qu’immigrée portugaise en France j’ai eu honte et me suis sentie offensée en entendant le mot «portugais » dans la bouche de Marine Le Pen. J’ai abandonné le « je » individuel pour m’emparer du « nous » collectif. Ce « nous » qui n’est pas simplement le « nous » portugais, mais aussi le « nous » algérien, le « nous » sénégalais ou le « nous » chinois. Nous, étrangers en France, indivisibles dans notre condition matérielle d’immigrés, exposés impunément à la xénophobie explicite et institutionnelle.

26 de fevereiro de 2012

Cerca de 5 milhões de espetadores encontravam-se em frente do televisor quando Marine Le Pen anunciou que se ganhasse as eleições (presidenciais 2012 em França) iria festejar a vitória « Chez Tonton, um restaurante português muito simpático que se situa em Nanterre ao lado da sede do partido Front National (FN) ». Esta resposta inscreve-se numa bateria de perguntas que o programa do canal France 2 – “Des paroles et des actes” – repete a cada candidato convidado a participar na mesma emissão. Primeira ilação: a resposta de Le Pen foi bem estudada e constitui o pontapé de partida de um programa político perigoso e admitamos “por vezes” inteligente. Esta inteligência, que é talvez mais inteligível que inteligente, pode tanto passar pela “desconstrução ordeira do euro” como pela atitude contra a “imigração como arma ao serviço do grande capital” (projeto presidencial do FN).

A referência ao tonton (tio) português ramifica-se numa tríade de significações, sobre a qual seria possível desenvolver uma complexa teoria semiótica. No entanto, como a minha capacidade no domínio da semiologia é relativamente limitada, reduzirei a minha análise da mensagem de Le Pen à banalidade seguinte: o discurso é gerador de sinais e por sua vez produtor de sentidos. Veremos, neste caso, que através de uma simples frase (não arbitrária) proferida por Marine Le Pen, cujo conteúdo demonstra uma idiossincrasia partidária, encontramos igualmente a génese da fabricação de um estrangeiro aceitável. Interessante será, por fim, desmontar a extravagância do discurso do FN através da analogia que se pode alinhavar com a retórica oficial francesa vis-à-vis da imigração portuguesa desde os anos 60.

Voltando à tríade de significações, ela diz respeito 1) à recepção visada pela mensagem; 2) ao “obreirismo” implícito na mensagem; 3) a um programa eleitoral bastante centrado na problemática da imigração.

1) O reconhecimento social é um pedido “assíduo” quando se fala numa colectividade imigrante ancorada num país hostil ao reconhecimento da diferença, como é o caso da França. Marine Le Pen ao elogiar um só imigrante português em França, um só restaurante português em território francês está a piscar o olho a toda a colectividade portuguesa (quase 600 000 nascidos em Portugal segundo o ultimo censo (sem contar com a imigração recente), sem duvida mais de 1 milhão se tivermos em conta os descendentes de portugueses com um forte sentimento de pertença em relação ao país natal dos pais). Le Pen chega, portanto, pelas suas palavras aos corações mais sinceros do orgulho de ser português desenvolvido em situação migratória. Enfim adquiriu-se, no horário nobre televisivo, um reconhecimento publico e perceptível do esforço dedicado dos portugueses na construção da pátria francesa. Mas não sejamos naïfs, Marine filha e herdeira de Le Pen não está tão interessada nos portugueses como está nos franceses de “raça” e na prioridade nacional. Ela visa o eleitorado francês humanista ainda não completamente convencido na unidade nacional, porque afinal existem estrangeiros bons e estrangeiros indesejáveis, estrangeiros brancos e estrangeiros não brancos. Os segundos constituem e constituirão sempre um “veneno contra a coesão nacional” (projeto presidencial do FN).

2) Ao referir um restaurante português em Nanterre, Marine Le Pen faz também referência à modéstia da escolha do seu partido em oposição às grandes festarolas de elite realizadas pelos seus concorrentes (por exemplo no Fouquet’s situado nos Champs Elysée). Modéstia de escolha que nos remete ao respeito da honestidade do trabalho dos operários. Que imagem poderia ser mais eloquente que o honesto e dedicado trabalhador português, que ao longo dos tempos conseguiu o lugar de chefia na construção civil? Esse mesmo bom imigrante que pelo seu inédito rigor laboral conseguiu um estatuto na hierarquia socioprofissional que faz dele inevitavelmente o carrasco dos outros imigrantes situados na cauda dessa hierarquia (Cf. Jounin, “Chantier interdit au public”). O restaurante português, onde se servem pratos fartos sem lugar para a insaciedade, reenvia a essa imagem de operário, onde o valor do trabalho manual grassa sem obstáculos superficiais ou imateriais. Um restaurante do povo para o povo, envolto e ancorado num bairro popular, onde os eleitores normais que não têm nada de especial podem auferir nem mais nem menos de uma refeição a 9 euros.

3) A referência aos Portugueses é por fim importante no esclarecimento de todo um programa político onde a omnipresença da imigração é a chave da “honra de ser francês” (projeto presidencial FN). O problema não são os portugueses que mais não fazem que oferecer-nos uma boa gastronomia e a sua sincera força de trabalho, não constituindo amiúde nem em regra o grosso da instabilidade da ordem nacional. O problema mesmo são “os conflitos interétnicos, as revindicações comunitárias e as provocações político-religiosas, consequências diretas de uma imigração massiva que interfere negativamente com a nossa identidade nacional e traz com ela uma islamização cada vez mais visível” (projeto presidencial FN). Voltamos portanto à clivagem utilitária do bom estrangeiro e do estrangeiro indesejável, e insiste-se nesta diferença pois a “dupla nacionalidade cessará de ser autorizada exceptuando os casos de dupla nacionalidade com um outro pais da União Europeia” (projeto presidencial FN).
A especificidade portuguesa que Marine Le Pen tenta introduzir e fazer passar na opinião publica não é inédita. Desde os anos 60/70 os discursos dos políticos franceses referem-se aos portugueses como os imigrantes “bem integrados” (Cf. Albano Cordeiro), tendo-se servido disto nos anos da imigração de massa (60/70) para dosear a necessidade da mão-de-obra argelina (imagem conflituosa e de alteridade extrema, embebida na dolorosa guerra de independência). Para além da racionalidade “racial” subjacente, a retórica hegemónica dos portugueses “bem integrados” é forjada no silêncio e esmagamento das experiências e heterogeneidade dos portugueses em França. Paralelamente, este tipo de discurso, seja proferido por Le Pen, pelo embaixador Português em França ou por Sarkozy, tem como consequência a estigmatização de uma população inteira em vários campos sociais, como exemplifica inesperadamente muito bem este exercício jornalístico no Le Monde : “Chez Tonton, le vrai QG du FN” (Quartel geral).

 

E agora que dei mais espaço de antena do que aquele que devia ao projeto presidencial do FN, dizer que como imigrante portuguesa em França senti-me envergonhada e ofendida de ouvir a palavra português da boca de Marine Le Pen. Saí do meu “je” individual e apropriei-me do “nous” colectivo. Este “nous” que não é simplesmente o “nous” português, mas também o “nous” argelino, o “nous” senegalês ou o “nous” chinês. Nós estrangeiros em França, indivisíveis na nossa condição material de imigrantes, expostos impunemente à xenofobia explicita e institucional.

Les jeunes portugais et convergence 84 pour l’égalité – ce qui s’est joué : retour sur un échec

Cet article du sociologue Albano Cordeiro a été publié sur son blog www.albanocordeiro.com

 

Convergence 84 pour l’égalité est parfois citée lorsque l’on énumère les Marches des années 80. Cela se résume à l’intitulé de cette initiative ou à ajouter une date : le 1er décembre 1984, jour où environ 30.000 personnes ont défilé à Paris, avec les « rouleurs » en tête. Ces mentions extrêmement sommaires, sans entrer dans des détails, laissent supposer que cette initiative  partage les caractéristiques de ces marches.

La difficulté à mieux en rendre compte ne tient pas uniquement au fait qu’elle est tombée dans l’oubli. C’est aussi parce que, par ses objectifs, bien que parfaitement intégrables dans ceux du dit « mouvement beur », cette initiative  tenta d’infléchir ce mouvement  dans une autre direction. Parler de Convergence équivaut à revenir sur des débats internes que la littérature sur les marches évite en  général d’aborder.

 Les enjeux du mouvement 

1) D’abord, cette initiative avait comme but, entre autres,  de changer l’image du mouvement « des jeunes issus de l’immigration » que la « Marche des Beurs » avait laissée : celle d’un mouvement anti-raciste porté par des jeunes d’origine algérienne, voire maghrébine, en tant que cibles de ce même racisme.

La reconnaissance de la paternité du mouvement revenant formellement « aux beurs », cela circonscrivait la thématique au racisme. A travers cette présentation des choses, c’était bien la société française qui se rachetait de l’accusation de raciste, en reconnaissant aux victimes le droit d’être porteuses du sentiment anti-raciste également présent dans la société française.

La Marche de 1983 était partie de Marseille dans l’indifférence des médias. A son départ elle affichait ses objectifs sur la banderole de front (« Marche contre le Racisme et pour l’Egalité »). L’événement qui projeta la Marche sur les devants de la scène médiatique se produisit un peu plus de deux semaines avant l’arrivée à Paris, lorsque la défenestration d’un jeune marocain du train Bordeaux-Vintimille par des jeunes militaires français, souleva  une vague d’indignation dans toute la France. Le gouvernement et le parti socialistes décidèrent d’apporter un soutien appuyé à la Marche, vue comme un symbole du rejet du racisme en France. Sollicités, récupérés, les leaders du « mouvement beur » vont s’entre-déchirer, après le défilé des 100.000 à Paris. A Paris également, le Comité des jeunes issus de l’immigration qui avait préparé et mobilisé les militants de la région parisienne, éclata dans les premiers mois de 1984. Une des analyses faites sur la cause de cet échec est justement le fait d’avoir laissé la Marche devenir un symbole de l’anti-racisme, au détriment de l’affirmation du principe d’égalité, ce qui ouvrait la porte à la récupération, en particulier par les forces politiques au pouvoir. Convergence 84 va essayer de mettre l’accent sur l’égalité et éviter ainsi l’étiquetage en tant que mouvement exclusivement anti-raciste. Ceci passait par le refus d’une forme de soutien qui pouvait provenir du parti socialiste alors au pouvoir. Ce soutien, si tant est qu’il se présentait, devait être discret et non-récupérateur.

2) La nécessité d’une riposte à la montée du Front national

Après quelques percées aux élections municipales de 1983, l’année 1984 est celle de la prise de conscience du danger de la montée du Front national. Une montée qui défiait directement le « mouvement beur » : celui-ci semblait bien, dans le contexte d’alors, une force issue de la société civile qui se devait de faire face à ce danger qui menaçait directement les valeurs pour lesquels il se battait. Or, la crise du « mouvement beur » devint notoire aux Assises des jeunes issus de l’immigration à Villefranche-sur-Saône à la Pentecôte 1984, alors même que le Front national confirmait sa percée aux élections européennes de juin 1984. Déchiré, le mouvement va s’avérer incapable d’apporter une réponse. C’est en réaction à cette incapacité qu’un petit groupe issu des divisions qu’a connues le Comité des jeunes issus de l’immigration se proposa de faire une marche, prenant comme slogan de ralliement « la France est comme une mobylette. Elle marche au mélange », phrase affichée par un manifestant anonyme à la manifestation du 3 décembre 1983. D’où l’idée de parcourir la France en mobylette. Les marcheurs devinrent des « rouleurs ».

3) Le changement de la représentation de la France d’aujourd’hui.

L’accent mis sur l’idée d’ «égalité» était un point majeur. Mais Convergence se voulait aussi une démarche visant à populariser l’idée que la France était devenue un pays multi-ethnique et pluri-culturel, battant en brèche le républicanisme jacobin qui présuppose que la France est « à ses nationaux » puisque la France est et doit rester un Etat-Nation englobant des populations non-françaises pour les franciser. Au contraire, les « rouleurs » étaient les messagers d’une France appartenant à ses résidents de toutes nationalités et origines culturelles. C’est bien de là qu’est venue l’idée de faire cinq trajets convergeant vers Paris. A chaque trajet était associée une  communauté (ou plus) de la France d’aujourd’hui: le trajet français-maghrébin, le trajet portugais, le trajet africain, asiatique, turc, etc. Ces trajets symbolisaient les diverses composantes du peuplement de la France. L’objectif était de rendre une représentation proche de la France-pays réel d’aujourd’hui et de la France de demain.

4) L’élargissement de la lutte des jeunes issus de l’immigration.

L’initiative de la marche de 83 s’inscrivait dans un conflit qui concernait au premier chef une partie de la population de France. Certes, les valeurs pour lesquelles les marcheurs se sont mobilisés étaient universelles et à ce titre l’initiative concernait bien d’autres segments de la population de France, et l’image même de la France. L’explicitation de ces valeurs pour qu’elles soient plus largement répandues et produisent des résultats politiques intéressant toute la société française, était nécessaire mais problématique. Paradoxalement, la crise du dit « mouvement beur » allait faciliter cette diffusion de la thématique de l’égalité et de l’antiracisme auprès d’autres composantes de la population française susceptibles de s’y reconnaître et d’y adhérer. Il y avait là une suite logique à l’initiative des la « marche des beurs ». De fait, cette démarche fut aisément comprise par des militants provenant de divers horizons, peu mobilisés ou mobilisés très tardivement pour le succès de la marche de 1983. Si Farida Belghoul, du Comité des jeunes issus de l’immigration de la région parisienne alors en pleine crise, est partante pour une nouvelle initiative en 1984, elle n’a pas réussi à réunir autour d’elle un groupe suffisamment significatif d’anciens marcheurs de 1983 et de ceux qui s’étaient mobilisés pour le succès de l’opération, comme par exemple le père Christian Delorme et le pasteur Jean Costil, et avec eux les réseaux  paroissiaux ou simplement chrétiens qu’ils avaient su stimuler en 1983. Delorme et Costil ont fait le choix de rester aux côtés de la majorité des anciens marcheurs qui, faute d’entente large entre eux, resteront en retrait de l’initiative «de Farida ». Malgré ce handicap, Farida et le petit groupe favorable à une nouvelle initiative, réussirent à constituer une équipe et une coordination pour lancer Convergence 84. Y seront représentées des organisations déjà présentes comme soutiens dans la préparation de la manifestation du 3 décembre 1983, des militants sympathisants de la démarche du « mouvement beur », et de nouveaux apports presque absents de l’initiative précédente. C’est le cas, par exemple, des associations communautaires nationales (AMF, ATMF, UTIT, ATF, ATT[1] ). Des organisations «franco-immigrées» de solidarité et de défense des droits des étrangers, déjà présentes (MRAP, LDH)  dans la mobilisation de 1983, s’impliquèrent également. Sont aussi présents des militants d’organisations politiques de la gauche extra-parlementaire française, des travailleurs sociaux de sensibilité de gauche et des militants anti-racistes. Parmi ces apports, celui de militants portugais a été déterminant. Ils constituaient potentiellement des relais pour une mobilisation  plus large et plus diversifiée que celle de décembre 1983, puisqu’ils étaient insérés dans la plus importante communauté étrangère de France. Mobilisés par l’intermédiaire de deux associations franco-portugaises, le CEDEP et Centopeia[2],  ils auront un rôle important dans l’organisation de Convergence et dans la préparation des cinq trajets. José Vieira est le principal organisateur de ces cinq trajets, et il devint ainsi une des chevilles ouvrières de Convergence 84

Une alliance objective entre deux communautés d’origine immigrée

Parmi les jeunes d’origine algérienne au premier plan lors de la marche de 1983, nombreux sont ceux qui, tout en étant socialisés en France, avaient des obstacles d’ordre psychologique à assumer l’identité française. Leurs parents et tout un peuple, celui auquel ils avaient appris à se sentir appartenants, avaient lutté et sacrifié des centaines de milliers de vies pour que leurs enfants ne soient pas français. Et si l’identité française leur était offerte, le racisme auquel ils étaient confrontés leur rappelait que même s’ils étaient prêts à la prendre et à l’assumer, il n’était pas certain que cette situation serait bien acceptée par les Français, du moins par une partie d’entre eux. D’un autre côté, la communauté portugaise – et grâce, en partie, à l’émergence du racisme anti-maghrébin qui va la faire oublier – avait connu des circonstances exceptionnelles pour construire une « invisibilité » propice à l’objectif du maintien à long terme de leur identité collective sur le territoire français. Pour les jeunes portugais socialisés en France et au regard de cet effort gigantesque mené par les parents, la logique était de ne pas liquider sans résistance un tel acquis. Entre la fin des années 70 et la moitié des années 80, ces deux grandes communautés du nouveau peuplement de la France issu de l’immigration étaient, en situation – au moins au plan théorique – de poser les termes d’un débat sur le dépassement de la conception centraliste, unitaire et jacobine de l’organisation sociale et politique française. Mais, comme on vient de le voir, les facteurs qui y contribuent dans chacun des deux cas sont de nature totalement différente. Les jeunes militants portugais qui ont rejoint Convergence sont nés au Portugal dans les années cinquante et soixante. Ils ont les mêmes âges que les militants « beurs » du début des années quatre-vingts. Mais, démographiquement, ils sont relativement peu nombreux. Ceux qui se rapprochent du mouvement sont fils et filles de militants associatifs ou antifascistes, de militants de la gauche catholique, eux-mêmes ont milité dans des associations plus ou moins politisées et  des organisations catholiques, comme la JOC ou la JEC[3]. S’ils s’étaient sentis concernés par le mouvement beur, en quelque sorte, ils n’y voyaient pas bien leur place. Convergence 84 leur donnait une opportunité de s’impliquer.

Le retournement du 15 novembre 1984 : un changement d’orientation politique est opéré.

Les objectifs de Convergence pour l’égalité étaient définis dans l’Appel de l’été 84. Il y était fait référence au repli des communautés minoritaires croyant par là « défendre [leur] statut et [leur] identité » . Il y était question également de l’intolérance croissante indiquée par la montée du Front national. Mais c’est autour de l’idée de « mélange », comme fondement de la nécessité de l’égalité, que s’était créée la dynamique principale. Le slogan « vivons égaux avec nos ressemblances, quelles que soient nos différences » exprimait également cette aspiration. Ce slogan devait signifier que nous nous positionnions d’égal à égal face à l’Etat français et dans les débats de société; la logique était celle de changer la représentation de la nation française où un « pacte républicain »  ne concernerait que des citoyens-nationaux et tendrait à ne pas reconnaître la diversité culturelle du pays. L’insistence sur une necessaire « intégration », de nature culturelle, en était la démonstration. Toutefois, à la réunion de la coordination nationale de Convergence du 15 novembre 1984, Farida Belghoul et une partie de la coordination proposèrent de donner un autre contenu à la manifestation d’arrivée à Paris le 1er décembre, et ce,  malgré les engagements de l’Appel et en dépit du fait que l’initiative avait été prise en charge par de multiples composantes et par des militants d’origines diverses. Le contenu et le message de Convergence seraient désormais l’«autodéfense des quartiers» et la dénonciation des « faux anti-racistes ». Dans la crise qui s’en est suivie, la préparation matérielle de la manifestation de l’arrivée à Paris fut compromise et celle-ci faillit être déprogrammée. C’est devant la perspective d’un échec irrécupérable que des militants se sont mobilisés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à quelques jours de la date de cette manifestation. Les militants portugais ont fourni une contribution majeure pour assurer un minimum de réussite à celle-ci.

Quelle est l’origine de ce volte-face ?
En fait, Farida et ses compagnons du trajet franco-maghrébin venant de Marseille, avaient subi de plein fouet les conséquences de la désaffection des réseaux les plus actifs qui avaient apporté le soutien à la Marche de 1983. Si le trajet était à peu de choses près identique à celui de l’année précédente, cette fois en revanche, ces réseaux s’étaient peu mobilisés. Les « anti-racistes » n’ont pas fait la publicité nécessaire et les « rouleurs » s’entendront dire que « de toute façon », s’adresser aux militants anti-racistes ne valait pas la peine, puisqu’ils étaient des « convaincus ». A la veille du défilé, Farida Belghoul a fait connaître le texte de son intervention Place de la République à Paris, terminus de la manifestation. Intitulé « Lettre aux Convaincus » – il fallait lire, naturellement « Lettre aux Cons Vaincus »  – le texte non seulement confirmait l’orientation du 15 novembre, mais il allait même au-delà, en dénonçant les « faux anti-racistes ». Alors qu’en  tout état de cause, il s’agissait d’alliés dans la lutte anti-raciste, au-delà et en dépit de tous les reproches d’engagement mou ou d’opportunisme qui pouvaient leur être adressés. Si la plupart des militants engagés jusque-là dans l’organisation, quoiqu’en  désaccord avec la nouvelle orientation de dernière minute, participèrent à la manifestation, certains cependant n’ont pas pu cautionner le volte-face. Parmi ceux-ci, l’organisateur des trajets en province, José Vieira, qui ce jour-là resta introuvable. Cette initiative aurait pu être le point de départ d’un travail commun entre jeunes militants associatifs maghrébins et portugais, en faveur d’une conception nouvelle de la France. A un moment historique particulièrement propice à cette « convergence », la manière dont elle s’est terminée, en a fait une occasion ratée. Par la suite, d’autres raisons aidant, comme l’entrée en jeu de SOS Racisme, la crise prolongée du mouvement beur qui ne se remettra plus, cette possibilité ne s’est plus présentée. D’une manière plus générale, ce fut aussi une occasion perdue de valoriser la diversité du peuplement de la France et des atouts variés qu’elle apporte. Certes, il est n’est guère possible d’affirmer que le succès de Convergence aurait modifié substantiellement l’état de la société, mais le mouvement aurait pu participer à accroître la contestation de l’idéologie de « l’intégration », devenue plus difficile.

L’enjeu qui consistait à faire reconnaître que les migrations du XXème siècle avaient changé significativement le peuplement de la France avec des composantes « non-françaises » d’origine, est resté irrésolu. La reconnaissance de cette nouvelle identité de la France était nécessaire pour que tous se sentent partie du même pays. L’échec de Convergence, même s’il fut  relativement camouflé, ne pouvait pas aider  le « mouvement beur » à se relever de la crise dans laquelle il avait plongé en 1984. Le vide sera ainsi rempli par SOS Racisme qui a repris à son compte un type de «lutte anti-raciste» qui « dénonce » des «faits concrets» type «l’ascenseur en panne » et oppose un discours antithétique à celui du Front National, sans remettre en cause les représentations en cours sur la société française. Au delà de SOS Racisme, plus généralement, la «lutte anti-raciste», dont on sera témoin, conjugue un militantisme de proximité, par récupération des «leaders de quartier», le grand spectacle (les Concerts), les «fêtes interculturelles» et une valorisation béate des «valeurs de la Nation Française », la première desquelles celle d’une République généreuse vocationnée à intégrer «tous ceux qui viennent chez elle».

Le seul ouvrage existant sur cette initiative est « Convergence 84 pour l’égalité/ La ruée vers l’égalité »,  (1985, 108 p.), réalisé par un Collectif de militants actifs de Convergence 84 : Nelson Rodrigues, Josée Chapelle, Olga Najgeborn  et José Vieira. Mise en page de José Vieira. L’ouvrage rassemble les textes produits avant, pendant et après cette expérience, ainsi que des reproductions d’articles de presse.  Epuisé, l’ouvrage est disponible au CIEMI, 46, rue de Montreuil 75011 Paris : http://www.ciemi.org
 Dans la vaste littérature dite « sur les Marches », nous signalons le livre « Dix ans de marche des Beurs » (Epi / Habiter, Desclée de Brouwer, 1994, 232 pp.), de Saïd Bouamama, qui aborde Convergence 84 pour l’égalité (p. 99 à 112).  Militant actif de Convergence 84, Bouamama rappelle que cette initiative s’adressait bien à la société civile plutôt qu’à l’État, et que «malgré elle» Convergence a pris l’allure d’une action «de Maghrébins pour des Maghrébins».
« Contribution à la mémoire des banlieues » (co-édition de Culture & Liberté –Ile-de-France et Edition du Volga), de Saïd Bouamama avec la collaboration de Mokhtar Djerdoubi et Hadjila Sad-Saoud, porte sur des témoignages d’acteurs du « mouvement beur ». Cet ouvrage est précieux pour évaluer l’héritage laissé dans la mémoire des débats qui ont traversé la « communauté » des militants intervenus dans les mouvements de la décennie 80. Convergence 84 y est rarement rappelée. De la lecture on retire surtout l’idée que cette expérience est absente de la mémoire, voire refoulée, puisque les témoignages en font que rarement référence. A se demander si cette expérience fait ou non partie de la mémoire du « mouvement beur », ou s’il s’agissait d’une expérience « atypique ».

[1] AMF, association des Marocains en France ; ATMF, association des travailleurs marocains en France (devenue depuis  association « des travailleurs maghrébins ») ; UTIT, union des  travailleurs immigrés tunisiens ; ATF, association des Tunisiens en France ; ATT, association des travailleurs turcs.
[2] CEDEP, Collectif d’études et de dynamisation de l’émigration portugaise ; Centopeia, association de jeunes d’origine portugaise.
[3] Jeunesse ouvrière catholique, Jeunesse étudiante catholique.
A Stephane Beaud, 21/5/09
Je reprends la conversation – pour ainsi dire- parce que je me suis aperçu d’une petite erreur (pour ne pas être exigeant), en télescopant deux événements lors de Convergence. La rupture avec Farida se fait en réalité en deux temps. Le premier est celui donc de la coordination nationale du 15 novembre 84, où Farida annonce un changement des objectifs de Convergence  qui seraient publicisés à l’arrivée à Paris. Il y a une réaction de ma parte : une lettre que j’écris de Grenoble que je croyais se trouver dans le livre de José (Ruée vers…), mais elle n’y est pas. J’ y faisais une critique du virage de Farida. Le clash définitif se produit à la veille (avant-veille?) de la manif de Paris. Les « marcheurs » dorment dans des aparts de l’immeuble où se trouvait alors la FASTI. Dans la nuit Farida glisse sur la porte des chambres des membres de la coordination (je n’y étais pas), le texte du Discours de la République. C’est bien ce texte  qui va provoquer la colère de José Vieira, qui ira chez lui s’enfermer jusqu’à la fin de la manifestation. De là aussi la réaction -semble-t-il immédiate- des copains maos de Badiou (dont Olga Najborn et « Leopold », c.a.d. Christian Dutertre) qui se dissocient, ainsi que d’autres membres de la coordination et marcheurs….. (ce sera avec eux qui sera créée l’Université Alternative Anti-Raciste pour l’Egalité (UAARE) qui durera environ deux ans. Dans celle-ci il n’y a pratiquement pas de maghrébins (je me rappele d’un : Mustapha Hadjarab), mais il y a d’autres gens. Dans les jours qui suivèrent la Coordination du 15 novembre, l’exécutif de la Coordination qui travaillait au Relais de Menilmontant s’est largement disloqué du fait d’un certain désarroi qui s’est installé. On allait à un désastre. Ce sont essentiellement des copains du CEDEP, en particulier Manuel Dias et aussi Carlos Bravo, également alors président (ou Secrétaire, à voir) de la FASTI, qui sont venus donner un coup de main à temps plein pour l’organisation de la manifestation prévue, puisque dans le désorganisation qui régnait celle-ci semblait même compromise. Il y avait un soutien de l’UTIT et de l’ATMF à Convergence ( là encore, ils ne se sentaient pas avoir eu leur place lors de la marche de 83). Après Convergence, nos rapports (entre le CEDEP et eux), s’est renforcé, d’autant plus que, le CAIF étant crée (Janvier 84) nous y participions (en devenant Président du CEDEP, fin 85, sauf erreur, je participe en personne à la direction) Mémoire Fertile peut encore être considérée une initiative dans la foulée de Convergence, mais c’est un autre sujet. En feuilletant le livre de José, j’ai vu une interview à Jean Pierre Worms, député socialiste d’alors. Il est un cas particulier. Je l’ai contacté au début de Convergence, ou même dans la phase de préparation-  à la suite d’une interview sur Libé ( je crois, mais presque sûr) où il défendait clairement le pluriculturalisme (en tout cas avec une vision en rupture avec l’idéologie « républicaine »). Un jour, en montant à Paris, je suis descendu à Macon (où il était député) pour le rencontrer et en effet l’idée de Convergence l’a emballé. C’est le seul appui qu’il y a eu de la part des gens du PS. Mais, je disais, c’est bien un cas particulier … JPWorms sera rapporteur auprès du Conseil de l’Europe pour rédiger la Charte européenne des langues Régionales, qui se prononce pour leur protection et reconnaissance. Le gouvernement français jusqu’à aujourd’hui n’a pas encore ratifié la Charte citée (je suis sûr, mais ce serait à vérifier) … Ceci pour dire qu’il était un peu un mouton noir… Je rappelle le nom du chargé de mission de Georgina Dufoix pour s’occuper des marcheurs : Blocquaux. Encore une épisode. Malgré des apparentes bonnes relations entre nous et Eric Favereau qui suivait Convergence pour Libé, ses articles se positionnaient la plupart des fois sur la vision « continuiste  » de la marche de 83 et sur le registre anti-raciste. Mais ce qui nous a énervé de la part de Libé est son parti pris pour une vision Blanc-Black-Beur-Embrassons-nous-Folleville qui devenait une caricature quasi-ludique de l’initiative Convergence. Je connaissais le responsable de rubrique Société de Libé à l’époque, un ex-mao de Grenoble, René Boullu. J’ai eu l’occasion de le rencontrer par hasard dans un bar, je lui ai fait part de mes critiques quant à la forme dont avait été traitée Convergence dans leurs colonnes. Il m’a répondu illico : c’était une décision de section Société ( lui-même) de mettre l’accent sur le slogan « blanc-black-beur »….   sous-entendu : c’était accrocheur. On n’est pas allé plus loin. J’ai cherché dans mon ordi actuel et je n’ai rien trouvé qui puisse apporter du nouveau par rapport à l’article publié dans la revue du GISTI. Il faudrait fouiller dans les archives papier ou dans des anciens disques durs. Si j’ai une piste, entre-temps, je ne manquerais pas de faire savoir. Un mot encore sur le premier article que j’ai fait après Convergence pour faire connaitre le rôle des jeunes Portugais dans l’initiative. Je l’ai fait pour « Presença Portuguesa », mensuel lusophone patronné par la Diocèse de Paris et le SITI (n’existe plus, je crois).  Je l’avais intitulé  » Le rôle des jeunes issus de l’immigration portugaise dans … ». Quand je reçois le journal, le titre sorti était « Le rôle des jeunes issus de l’immigration dans …. « . Le mot « portugaise » était disparu….ce qui retirait d’emblée tout intérêt à l’article puisqu’il ne voulait pas parler, comme à l’habitude du rôle des « jeunes issus de l’immigration » (qui était et est sous-entendu « d’origine maghrébine »), mais bien des jeunes d’origine PORTUGAISE. Même un journal pour des Portugais était perméable à l’idée que si l’on parle de ce que font des  jeunes issus de l’immigration, cela ne concerne pas les Portugais. C’est bien le fait d’avoir été témoin de la manière dont la presse, en particulier, a ignoré de façon systèmique l’apport déterminant des Portugais au projet et à la réalisation de Convergence, observation corroborée par maints contacts avec des personnes censées être au courant des mouvements qui traversaient le monde  de l ‘immigration, qui m’ont amené à écrire dans la revue Travail (publiée par l’ AEROT, de Benjamin Coriat, Catherine Levy, etc),  un article intitulé « La communauté portugaise. La plus grande communauté invisible de France » (Travail, n°7/1985). article publié dans la revue du GISTI Plein Droit,  n° 65-66, juillet 2005, pp. 60/63.

 

Nous nous souvenons des années de boue

Communiqué de l’Association Mémoire Vive/Memória Viva à l’occasion de la projection du film « Le bateau en carton » de José Vieira à la FNASAT le 17/12/2013  

Ce film établi un certain parallèle entre les parcours d’immigration des portugais et algériens dans les années 60 avec celle des roms roumains aujourd’hui.

D’un bidonville à l’autre, les histoires se ressemblent et l’Histoire (celle qui dit avoir un grand « H ») semble se répéter pour ceux qui ne peuvent que chercher ailleurs ce qu’ils ne peuvent acquérir « chez eux ».

 Alors que Manuel Valls évacue à tour de bras les bidonvilles français, expulsant les dits inintégrables « ayant vocation à revenir en Roumanie et en Bulgarie », la misère la plus nue s’insinue au plus près de chez nous sans que nous ne voulions la voir. Combien de dizaines de milliers de roms vivent dans des bidonvilles ou dans la rue en France ? 15 000, 20 000 ?

Notre association a pour but de « recueillir et transmettre la mémoire de l’immigration portugaise dans un esprit d´échange et d’ouverture ».

Dans ce sens, nous affirmons que nous nous souvenons des « années de boue », de l’immigration clandestine et de l’exploitation.

Rappelons, par exemple, les bidonvilles de Champigny et de Nanterre qui comptaient respectivement 15 000 et 10 000 habitants.

La projection de ce film à la Médiathèque FNASAT-Gens du voyage est à la fois l’affirmation d’une solidarité avec les populations expulsées comme une critique directe à la politique migratoire de Manuel Valls.

Nous ne serons jamais intégrables à la société que nous dessinent les Sarkozy, Hortefeux ou Valls !

 1107-B22a- Petites immigrées

Pour ne pas oublier la retraite des anciens combattants émigrés Par António Oneto!

Par António Oneto

Le 23 février 2001, la première réunion sur la retraite des portugais émigrés en France s’est tenue dans la salle Jean Vilar. La révolte a éclaté dans la salle lorsque le représentant du Centre National des Retraites du Portugal a déclaré que tous ceux qui n’avaient pas cotisé pour la sécurité sociale portugaise avant le service militaire n’avaient pas cette période validé pour ouverture des droits, ni en France, ni au Portugal.

Cette révolte a été le ciment qui a érigé l’Association des retraités, anciens militaires et anciens combattants portugais de France. Des manifestations à Paris, au Luxembourg et à Lisbonne, des occupations du consulat de Paris, des délégations envoyées au parlement portugais, au gouvernement portugais, à des personnalités politiques européennes mais aussi de la vie civile, des assemblée publiques, des journées d’information de la Caisse d’assurance Vieillesse ont ponctué la lutte infatigable de cette association de 800 adhérents, dont beaucoup d’entre eux ont été très actifs.ean Vilar.

La révolte a éclaté dans la salle lorsque le représentant du Centre National des Retraites du Portugal a déclaré que tous ceux qui n’avaient pas cotisé pour la sécurité sociale portugaise avant le service militaire n’avaient pas cette période validé pour ouverture des droits, ni en France, ni au Portugal.

Je rappelle certains faits historiques : Au Portugal, depuis 1935, il y a eu six lois de régulations militaires qui disent clairement que le temps du service militaire doit être comptabilisé pour les promotions et retraites.

Les ex-militaires qui n’avaient pas encore cotisé pour la sécurité sociale portugaise, c’est à dire la majeure partie des émigrés de cette époque, sont exclus du bénéfice de ces lois à cause de l’article 36º de la loi base du système de sécurité sociale portugaise (Décret-loi 329/93). Ce fait est, d’ailleurs, contraire à la réglementation européenne 1408/71. L’assemblée de la République a voté à l’unanimité le 23 mars 2003 la pétition 14/IX souscrite par 11052 citoyens qui réclamaient la modification de l’article incriminé (le Décret-loi 329/93).

Ce plébiscite, n’ayant pas généré aucune initiative politique qui puisse couper le mal par la racine, a laissé la porte ouverte à la multiplication de textes qui n’ont fait que compliquer la situation. Ceci n’a pas répondu à l’attente de milliers d’anciens combattants émigrés exclus du comptage officiel pour la retraite du temps de service militaire.

En matière de retraite, il n’existe aucun mécanisme de rétroactivité. Ceci a pour résultat que des millions d’euros furent définitivement perdus par les anciens combattants émigrés car ils n’ont pas pu liquider leurs droits à la retraite, parce que la sécurité sociale portugaise n’a pas émis le formulaire E205, essentiel à la taxe de formation de la retraite communautaire.

Cette situation met fin au principe inaliénable de droit à la retraite (c’est à dire au repos) prévu par la constitution portugaise. Mais persévérance est mère de réussite… et notre combat et celui des émigrés du Luxembourg a donné un résultat, qui même ne correspondant pas à notre revendication principale, qui était la modification de l’article 36 de la loi base du système de la sécurité sociale portugaise.

Ainsi, en 2009, 8 ans après le 23 février 2001, une loi a permis aux anciens combattants émigrés de la guerre coloniale de réclamer une prise en compte du temps de service militaire pour la retraite en France. Cette reconnaissance n’implique aucune forme de pension payée par le Portugal, malgré le fait que ces anciens combattants aient servi de chair à canon dans cette guerre criminelle, qui a duré de 1961 à 1975.

En 2009, la plupart des anciens combattants émigrés qui n’étaient pas morts entre temps, étaient à la retraite et ceux qui ne l’étaient pas n’ont souvent pas eu l’information nécessaire à cause du peu d’engagement des services consulaires portugais. Heureusement, notre association eût l’appui de l’association AGORA d’Argenteuil mais également de journalistes de Radio Alfa et du Lusojornal.

Il n’existe aucun rapport ou bilan officielle des bénéficiaires de cette loi sur les 150000 anciens combattants émigrés en France. Les anciens combattants émigrés qui n’ont pas été mobilisés pour cette guerre coloniale continuent exclus de cette loi.

Cette injustice ne saurait pas rester bâillonnée parce que tous les gouvernements furent complices de cette ignominie faite envers les émigrés.

Comme membre fondateur de cette association, je lègue toutes mes archives personnelles à la bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine, à travers l’association “Mémoire Vive/Memória Viva” pour que les enfants et les petits enfants des anciens combattants émigrés trouvent matière pour perpétuer la juste indignation de leurs parents et grands-parents »