Appel pour une collecte de témoignages sur le racisme anti-portugais en France

Nous avons souvent discuté entre nous du racisme, de la discrimination et de la xénophobie dont les immigrés portugais et leurs enfants ont été et sont victimes en France. À mémoire vive/memória viva nous l’avons combattu par notre travail sur la mémoire de l’immigration portugaise, en documentant les conditions d’accueil, de travail et de vie difficile de cette population en France. Alors que ce racisme nous semble perdurer dans la société française, stigmatisant notamment les jeunes d’origines portugaises, parfois installés en France depuis 3 ou 4 générations, il nous a semblé important de faire une collecte de témoignages sur le sujet.

D’abord parce qu’il n’existe pratiquement aucune étude sur le sujet, ni en histoire, ni en sociologie, ni en anthropologie. D’autre part parce que ce sont des expériences traumatisantes vécues par des centaines de milliers d’individus, l’immigration portugaise étant, rappelons-le, une des plus nombreuse en France. Enfin parce que, pour des raisons diverses, il semble que ces expériences soit passées sous silence par la société d’accueil ou même par les propres victimes.

Nous insistons sur le fait que cette démarche s’affranchit de toute volonté communautariste. Nous avons régulièrement, collectivement et/ou individuellement, pris position contre le racisme, la discrimination et la xénophobie qui a frappé et frappe encore les autres immigrations en France, parfois avec encore plus de violence.  Notamment dans cette tribune http://www.memoria-viva.fr/bidonville-de-champigny-nous-nous-opposons-a-linstrumentalisation-de-notre-histoire-et-de-nos-memoires/

L’idée de cette collecte est essentiellement de donner de la matière, de créer un corpus qui permette aux chercheurs de s’en emparer.

Le formulaire que nous mettons à disposition permet de raconter des expériences vécues par vous-même, par un de vos proches ou dont vous avez été témoin. Les textes seront ensuite compilés et, si vous le souhaitez « anonymisés » par nos soins. Pour raconter ce que vous avez vécu, point n’est besoin d’être un littéraire. Ce qui compte, c’est la réalité de l’expérience vécue, qu’elle soit jugée traumatisante, grave, superficielle ou anecdotique. 

Nous vous invitons à faire circuler ce formulaire autour de vous, dans vos familles, dans vos associations, syndicats, laboratoires de recherche et autres collectifs.

Pour accéder au formulaire, cliquez sur ce lien https://forms.gle/Nhie7Lvo7Cffv5Pj9

L’association mémoire vive/memória viva alimentera également cette base de donnée grâce au fonds d’archives consacré spécifiquement à l’immigration portugaise, disponible à la Contemporaine. Ainsi, nous posterons régulièrement sur les réseaux sociaux des documents qui documenteront ce racisme. Le premier d’entre eux est un article de Libération datant 1984. Il évoque un crime raciste contre un jeune portugais dans le Sud-Ouest de la France : António De Jesus.

La question de la participation des étudiants des colonies portugaises au commencement des luttes pour l’indépendance (1961)

A propos de la sortie de l’ouvrage « Opération Angola – Soixante étudiants africains exfiltrés du Portugal de Salazar» – une action secrète de la Cimade en 1961 » *.

Par Albano Cordeiro, sociologue économiste et politologue – Fév. 2018

Lorsque, pour la première fois, je prends connaissance de l’édition d’un livre sur la sortie collective clandestine du Portugal, en 1961, d’une soixantaine d’étudiants des colonies portugaises, majoritairement angolais, je me suis senti concerné. Le sujet de cet ouvrage faisait venir à la mémoire une partie –très ancienne – de l’histoire de ma vie.

Le texte de l’ouvrage présenté ici raconte le processus qui a mené un réseau d’organisations protestantes à monter une opération d’envergure pour soustraire quelques dizaines de jeunes africains acquis à la lutte pour l’indépendance de leur pays d’origine à l’emprise des autorités portugaises, les rendant ainsi disponibles pour participer à la lutte de libération tout en poursuivant leurs études.

Un ouvrage sur cet épisode était imaginable vu la singularité de cette opération et des protagonistes impliqués dans les aspects organisationnels. Il reste que, outre les aspects techniques et organisationnels que cela pose, les aspects politiques sont également à ne pas négliger.

Sur cet angle, l’ouvrage aborde ici et là le contexte et la conjoncture attenants aux forces politiques intéressées, à un titre ou à un autre, au succès ou à la non réalisation du but recherché.

Le sujet central autour duquel se déroule le récit est bien celui des aspects organisationnels. Mais en effet, il était également envisageable de réunir des données concernant l’insertion politique des étudiants contactés et de ceux qui ont participé réellement à l’ « évasion clandestine ». A notre avis, ces aspects sont insuffisamment abordés.

Il était indéniable que le mouvement de libération d’Angola était bien – et de loin – le plus avancé en termes de mobilisation politique pour ce but. Il n’est donc pas une surprise d’apprendre qu’une cinquantaine d’étudiants sur une soixantaine étaient d’origine angolaise. Par contre, des étudiants d’autres origines (mozambicaine, capverdienne, bissau-guinéenne et santoméenne) s’y sont joints. Ceci est aussi révélateur de l’état des rapports entre les divers mouvements de libération, constitués ou en voie de constitution. Ainsi on peut remarquer que certains mouvements et certains leaders sont plus cités et reviennent plus souvent dans le récit, que d’autres.

Nous constatons que le nom d’Agostinho Neto est quasi absent du récit (à deux exceptions près, mais sans liaison significative avec le texte). De même Amilcar Cabral e Viriato da Cruz. Certes, ils n’étaient pas associées à l’initiative, mais ils ont pu avoir une opinion sur ce que s’est passé.

L’opération étant – comme il a été dit – « l’église en action », il n’est pas étonnant que le nombre d’étudiants se réclamant des principes et pratiques chrétiennes, principalement protestantes s’est avéré important, rivalisant avec ceux se réclamant du marxisme-léninisme. Pourtant, la prépondérance de ceux-ci dans les cercles pro – indépendance était alors connue.

Au vu du sujet abordé, qui relate une action politique collective à laquelle participent des jeunes diversement engagés politiquement, l’intérêt principal pour le lecteur politisé est celui de connaitre les raisons et motivations qui les ont amenés à s’associer.

Il apparaît clairement que le rôle de principal organisateur revient à Jacques Beaumont(1), alors secrétaire général de la CIMADE, confirmant ainsi le fait d’attribuer à celle-ci la responsabilité du déroulement et du succès de l’opération.

La motivation des étudiants contactés pour le départ du Portugal a été d’abord celle d’un souhait de se libérer du contrôle des autorités portugaises, que quelques recruteurs actifs partagent avec d’autres étudiants africains –angolais ou pas. C’est le cas du recruteur méthodiste Pedro Felipe(2) et de Vieira Lopes(3), étudiants engagés politiquement, mais aussi de Daniel Chipenda (Coimbra) et de Lima de Azevedo (Porto)(4).

Là aussi, leurs opinions auraient été utiles pour avoir une vision globale des évènements cités.
Le succès de l’opération est dû en grande partie au souci qu’ont eu les organisateurs de se « couvrir » face aux imprévus susceptibles de faire échouer en cours. Un ministre et un secrétaire d’Etat sont aussi mis au courant de l’opération(5). Des soutiens qui, en outre, peuvent faciliter certaines opérations et avoir accès à des moyens pour mener l’opération.

Une vingtaine de ces étudiants exerceront des responsabilités dans les mouvements de libération et dans les gouvernements post indépendance. Un leader de mouvement nationaliste, Eduardo Mondlane, s’est déplacé au foyer de la CIMADE d Sèvres, dans la banlieue de Paris, pour une rencontre avec Joaquim Chissano(6) e Pascoal Mocumbi(7). Le premier sera Président de la République du Mozambique à la fin des années 80, et le deuxième son Premier Ministre.

Outre le petit nombre de mozambicains participant à l’opération de la Cimade, d’autres se sont exilés, avant ou après, Parmi ceux-ci on trouve également des noms de personnalités politiques, telles que Oscar Monteiro e José Luis Cabaço, qui ont exercé des responsabilités ministérielles.

Bien que préparée dans le plus grand secret, il reste relativement étonnant le fait que la police secrète salazariste a appris l’opération quand elle était déjà en cours (et à l’approche de la fin de la même) par la police espagnole. Un communiqué du gouvernement portugais daté du 17 juillet 1961 informe qu’une soi-disante « Organisation pour la protection des pays du tiers-monde »(8) chercherait à « impliquer des jeunes étudiants d‘outremer dans des activités subversives ».

L’arrestation à la frontière espagnole (coté pays basque) d’un minibus de l’opération Cimade en cours, le 30 juin, a été le motif de la mise au courant de la police portugaise. Salazar se proposait d rapatrier les étudiants à Lisbonne. Franco, répondant à d’autres exigences, décida les laisser poursuivre leur voyage vers la France. « On ne peut qu’imaginer la fureur de Salazar »)(9) .


Notes :
(1) Jacques Beaumont est cité par les auteurs du récit, dès l’Introduction (p. 13), comme principal organisateur de l’opération,. Il est aussi précisé qu’il a pris ces responsabilités à la demande du Conseil œcuménique des Eglises, saisi par l’Eglise Méthodiste des Etats Unis.
(2) Pedro Filipe est cité à plusieurs reprises (voir pages 45, 47, 50, 59, 90), en particulier dans un sous chapitre, p. 167 le désignant représentant de la « Fédé » (Protestante africaine) et ayant un rôle essentiel auprès de la COE et dans le recrutement des candidats à l’ »évasion ».
(3) Vieira Lopes est l’autre recruteur, désigné comme « leader du groupe politique », sous entendant probablement des militants MPLA (cité p. 90, 115, 125 et 127).
(4) Cité p. 147.
(5) Il s’agît de Robert Buron et de Bernard Tricot. Et aussi de Maurice Couve de Murville (« membre de l’Eglise Reformée »), Ministre des Affaires Etrangères.
(6) Voir pp. 14, 95/98, 143, 156, 165.
(7) Voir pp. 139/140.
(8) Voir p. 151. Cette « organisation » devrait protéger les étudiants africains d’« une hypothétique persécution à venir par le gouvernement et la population en réponse aux évènements en cours dans le nord de l’Angola ».
(9) Voir page 136.

 


QUAND UN EXILÈ REJOINT D’AUTRES EXILÉS

Je n’étais pas angolais mais un jeune d’origine portugaise grandi au Mozambique dans les années 40 et 50, et que se sentait mozambicain. Mozambicain dans un pays libre et progressiste. Je soutenais le principe d’un Mozambique indépendant.

A la fin des années 50, je pars au Portugal pour poursuivre mes études, et je deviens adhérent de la « Casa dos Estudantes do Império » de l’Université de Porto où je me suis inscrit en 1958. Je participe à sa création en 1959 et je deviens son Secrétaire Général en 1961.

Courant Mai 1961, un étudiant angolais adhérent (J. Lima de Azevedo), est venu me rencontrer au siège me demandant de consulter le cahier des inscrits à l’association alléguant un besoin d’annoter leur nom. Normalement, il ne disposait pas du droit de consulter le cahier des inscrits. Et j’étais dans le droit de lui poser des questions concernant les raisons de sa demande. Je me suis gardé de le solliciter à s’expliquer.
Je le connaissais relativement bien suite à notre fréquentation des cercles informels des étudiants dits « ultramarinos » (originaires des colonies portugaises), spécialement angolais. Et je connaissais sa qualité de membre du MPLA., le mouvement de libération angolais que jouissait de ma sympathie. J’ai perçu que des raisons politiques sérieuses motivaient la demande de Lima de Azevedo. Des raisons importantes puisque sur celles-ci le silence s’imposait.

Des jours passent (une semaine ou plus) et j’apprends que plusieurs étudiants angolais étaient « disparus » depuis plusieurs jours. On apprend par la suite que, de même, à Coimbra et à Lisbonne, des étudiants angolais – ainsi que d’autres « ultramarinos » – étaient « disparus ».

On m’informe que le Secrétaire Général de la CEI de Lisbonne et celui de celle de l’Université de Coimbra avaient été appelés à la PIDE et interrogés sur ces « disparitions ». Autrement dit, j’étais le suivant.

Ma décision fût quasi immédiate. Je me devais de rejoindre le groupe de ceux qui venaient de s exiler.
Il fallait avoir un passeport. Je pourrais en avoir un puisque j’avais été exempté du service militaire lors de l’examen d’entrée dans l’armée fait au Mozambique avant mon départ en « métropole ».

Je pars pour Lisbonne, où j’aurais plus de chances d’échapper à un refus de passeport venant de la PIDE, puisque je n’y habitais pas. J’ai donné l’adresse d’une tante habitant Lisbonne.

A peine reçu le passeport, je prends quelques affaires et je cherche un train pour la frontière de Vilar Formoso. Quelques heures après, je traverse la frontière à pied et je me mets à demander du stop. Cela s’avère difficile et il est déjà la nuit quand j’arrive à Valhadolid. J’ai demandé à des gens s ils pouvaient m’héberger pour une nuit. Et j’ai obtenu un hébergement.

Je m’affole du temps pris pour arriver à Valhadolid. Malgré mes faibles disponibilités en argent, je prends un train pour San Sebastian, ville à quelques dizaines de kilomètres de la France. Là j’ai cherché un auberge de la jeunesse et le lendemain j’arrive à la frontière française.

De nouvelles difficultés de stop feront que je dormirais ce jour-là dans une étable derrière un bar au bord de la route. Mais le lendemain le stop me permet d’arriver à Orléans, déjà près de Paris, où je prends un auberge de la jeunesse.

Après 6 jours de voyage j’étais donc à Paris, où je cherche un dortoir peu cher qui se trouvait près de la FAO.

Une fois arrivé à Paris j’entame des recherches pour joindre le groupe des « fugitifs ». Un endroit me semblait proportionner des chances de me trouver face à face avec l’un d’eux : le carrefour du Bd. St. Michel avec la rue qui donne sur le Panthéon, lieu de rencontre de touristes.

Et là, un jour, en montant un escalier pour accéder à un self-service, j’entends, derrière, parler portugais. C’étaient des membres de la CEI de Porto.

Le but du voyage était atteint. Le surlendemain, j’ai eu une rencontre avec Lima de Azevedo et je suis intégré dans le groupe qui était hébergé dans le foyer de la CIMADE à Sèvres., dans la banlieue proche de Paris.

SE DEFAIRE DE SES ARCHIVES – REFLEXIONS –

Ceci est la version complète de l’intervention d’Albano Cordeiro à la journée de présentation du fonds d’archive créé par notre association à la BDIC, le 6 juin 2017.

 

Il se peut que le fait de se défaire de documents divers et variés que l’on a accumulé pendant sa vie active, provienne principalement du sentiment que leur mise au rebut constituerait une perte pour l’évolution des connaissances dans les domaines sur lesquels porte la documentation en question.

Dans mon cas, j’ai eu à constituer et ensuite à conserver une documentation extrêmement variée dans différents domaines. Cette réalité résulte, d’une part de ma trajectoire au long de ma vie universitaire et militante, et, d’autre part, de mon itinérance par divers espaces géographiques.

La diversité de mes archives reflète le fait que j’ai vécu en quatre espaces géographiques et socio-culturels différents. Il s’agît du Mozambique, du Portugal, de l’Italie et de la France. A cette liste l’on pourrait encore ajouter le Luxembourg, où j’ai fait plusieurs séjours dont un de six mois, pour des raisons professionnelles. A cela il faut ajouter la documentation sur des thèmes concernant les migrations internationales, donc sur d’autres espaces

En ce qui concerne l’immigration portugaise en France, je me suis particulièrement orienté vers le mouvement associatif local portugais, le mouvement associatif de migrants le plus important que la France a connu. Dans ce cadre, je défends l’analyse de la dite « invisibilité des portugais » issue d’un comportement de discrétion généralisé dans le milieu portugais, interprété comme étant dû à une capacité d’intégration facile dans la société française. Cette « invisibilité » et cette « facilité d’intégration » contrastaient avec la « visibilité » des immigrants d’origine maghrébine en particulier. Il s’agît ici d’une visibilité issue d’une familiarité avec les institutions françaises (issus de pays anciennement colonisés par la France) et d’un contentieux historique pas complètement résorbé lié aux luttes pour les indépendances de ces pays.

Les longs séjours dans ces espaces ont laissé leur trace dans l’inventaire de la documentation déposée. Pour ce qui concerne le dépôt en cours dans la BDIC  de Nanterre, il ne concerne que la France et en particulier l’immigration portugaise.  Mais la documentation accumulée sur plus de 40 ans concerne le Mozambique, l’Italie, la France et le Luxembourg. La production écrite par moi-même et celle avec d’autres auteurs), articles et autres publications (y inclus des DVD), font également partie de la documentation.

Ceci indépendamment des documents et œuvres diverses relatives à des questions idéologiques, principalement sur le débat sur la démocratie, sujet toujours d’actualité et sur lequel j’ai travaillé longtemps (articles, dans une grande variété de revues et autres publications, ouvrages collectifs). De même avec le sujet de la « Nouvelle  Citoyenneté » (basée sur la résidence, donc sur l’idée du «Vivre Ensemble»),  développé en articles et ouvrages. Ajoutons le thème de la « citoyenneté collective », applicable aux acteurs collectifs des sociétés, et répondant aux exigences d’une démocratie participative, tandis que la « citoyenneté individuelle » est elle propre à la démocratie représentative.

En ce qui concerne les thèmes politiques, la documentation recueillie touchait une grande variété de sujets, seulement une petite partie fut sélectionnée pour la donation, entre autres pour des raisons de langue.

  1. QU’EST-CE QUE ME LIE AU MOZAMBIQUE ?

Je dis Mozambique -et particulièrement Maputo (ex-Lourenço Marques)- mais pourquoi?

Parce que ce fût là que j’ai ouvert les yeux sur le monde qui m’entourait, en sortant de l’enfance et c’est dans ce monde là, pendant l’adolescence, que je me suis construit. J’ai donc développé un sentiment d’appartenance au monde connu là-bas.

Pas facile dans une société coloniale. Multiples situations de peur, réelles ou supposées, structurent les individus.

Du fait de ma fréquentation de milieux de gens attachés à des idées de gauche, j’ai adhéré à l’idée d’indépendance politique du pays, issue logique pour sortir des peurs et construire un avenir pour tous. J’ai suivi les luttes qui allaient dans ce sens et qui se développaient alors dans les pays africains.

J’ai eu la chance de sortir exempté de l’examen d’entrée à l’armée. Cela s’est passé 4 ans avant le déclenchement de la guerre coloniale. Quittant le Mozambique pour faire des études universitaires au Portugal, je m’engage progressivement dans la lutte pour l’indépendance des colonies et je deviens responsable dans l’Association des Étudiants des Colonies Portugaises (C.E.I.), en tant que Secrétaire Général de la section de cette association à l’Université de Porto.

Avec d’autres militants pour l’indépendance des colonies, lorsque que la guerre coloniale est déclenchée en Angola (1961), je prends l’exile pour joindre les mouvements nationalistes des colonies portugaises et pour reproduire à l’extérieur l’Association des Étudiants des Colonies Portugaises. Celle-ci (UGEAN) est créée en 1961 à Rabat. Je ferais partie de la commission d’organisation du  2ème   Congrès de l’UGEAN tenu à Rabat (1962). 

Je suis revenu sur le terrain, au Mozambique bien d’années après, En 1994, j’ai été Observateur International, pour l’Union Européenne, aux premières élections présidentielles et législatives libres tenues au Mozambique. Pour la Ligue Mozambicaine des Droits Humains (LMDH), j’ai été encore Observateur aux élections de 1999 et 2009.

L’ITALIE

Comme d’autres étudiants des colonies portugaises exilés à Paris en 1961, j’ai obtenu via le Conseil Mondial des Eglises, et en particulier, la CIMADE, une bourse pour poursuivre les études à Rome.

Pendant le séjour à Rome (5 années), j’ai poursuivi mes contacts avec les étudiants des colonies portugaises, en tant que membre de l’UGEAN (voir ci-dessus). J’ai été amené à avoir des relations militantes avec le PCI (Parti Communiste Italien) dans le cadre de la mise en relation avec des leaders du mouvement nationaliste des colonies portugaises et en particulier du Mozambique.

J’ai participé aux mouvements étudiants, principalement à la grève de 1965 et celle de fin février 1967 (manifestation Valle Giulia, fac architecture de Rome).

J’ai cherché à suivre la production d’idées politiques dans les mouvements minoritaires de jeunes. J’ai ainsi suivi Lotta Continua e Potere Operaio. J’ai aussi eu des contacts, plus tard, des contacts sporadiques avec les Brigate Rosse. Ces mouvements je les ai suivis même après mon installation à Grenoble (fin 1966). Dans les premières années de l’installation à Grenoble, j’allais, de temps à autre, le week-end, à Turin pour suivre l’action militante de Lotta Continua particulièrement centrée sur des ouvriers de FIAT.

Dans les années 80, cette expérience me mène à établir des relations amicales avec Oreste Scalzone (leader étudiant italien très connu) qui se réfugie en France à cette époque.

FRANCE

Mes premiers travaux professionnels d’économiste sociologue ont porté sur les conditions de vie et de travail des travailleurs migrants algériens en France. J’approfondissais par ailleurs d’autres aspects touchant la diversité de la migration économique.

J’ai vécu pleinement les événements de 1968 à l’Université des Sciences Humaines de Grenoble, en m’associant avec le mouvement étudiant local émergeant suite aux grandes manifestations d’étudiants de Paris début Mai 68. Ce mouvement réussit à prendre le bureau de l’UNEF à une direction d’influence trotskyste. C’est le « Mouvement du 10 Mai » , connu comme les «Codacs » et qui a poursuivi son action militante sur une bonne partie de l’année 1969.

Bien qu’inséré -en tant que migrant moi-même- dans le mouvement associatif local et national portugais, je n’aborderais ce sujet comme thème de recherche que dans la période qui suit le coup d’état du 25 Avril 1974. Alors, spontanément et en quelques jours je produis un petit rapport sur le mouvement associatif local qui fût envoyé ensuite au Secrétaire d’État aux Communautés immigrées du gouvernement formé après le coup d’état.

Cette participation aux luttes d’étudiants et de soutien aux luttes ouvrières (présence dans les manifestations d’ouvriers grévistes de plus en plus isolés), a été probablement à l’origine d’un arrêté d’expulsion du territoire qui m’a été communiqué oralement par le directeur de mon institut de recherche. Quelques heures après cette annonce, je passais la frontière avec l’Italie, où je me suis réfugié pendant un mois. Le retour a pu néanmoins avoir lieu, l’arrêt d’expulsion n’ayant pas été mis à exécution.

Huit ans plus tard, ayant déposé une demande de naturalisation française, j’ai eu la surprise de recevoir un refus. J’ai fini par l’avoir, quelques années après. La gauche mitterrandienne avait accédé au pouvoir et j’ai mis au courant de ma demande le responsable de la Commission Immigration du PS, ainsi que le directeur du Fonds d’Action Social (FAS). Le Ministre de l’Intérieur, Gaston Deferre, m’a averti que ma demande serait examinée (dossier « naturalisation » dans les archives déposées).

Dans les années 80 – années pendant lesquelles le Portugal mène une politique plus ouverte envers les communautés émigrées – en France, avec un gouvernement dominé par le PS, le mouvement associatif local des Portugais se développe et prend des proportions nouvelles avec des échanges bien plus importants que dans la décennie précédente. Le SPAC (Service d’Aide aux Communautés), intégré dans les services consulaires, facilite le lien entre dirigeants associatifs actifs et dynamiques. Des groupes de jeunes, issus le plus souvent des groupes folkloriques crées dans les associations de leurs parents, créent des groupes musicaux ou/et de danse.

C’est dans ce contexte qu’est crée le CEDEP (Collectif d’études et de Dynamisation de l’Émigration Portugaise), en 1982. Le CEDEP a réuni des dirigeants associatifs, des chercheurs et animateurs d’associations et ONG françaises, y inclus la Pastorale des Migrants, et des membres du SPAC, à titre individuel. Le membre fondateur le plus engagé fut Manuel Dias, son premier président. José Vieira, après son engagement dans Convergence 84 Pour l’Égalité (1984), a été l’animateur du CEDEP préparant une exposition de photographies sur l’immigration portugaise (1985).

Une des raisons qui ont amené à la création du CEDEP fût la prise de conscience d’un certain isolement du mouvement associatif portugais en France. Cet isolement était partiellement dépassé dans le cas de dirigeants associatifs (peu nombreux) plus ou moins proches de certaines structures sociales (telles que des partis politiques, église catholique ou mouvements antifascistes radicaux). Le CEDEP a cherché des liens avec des structures officielles ayant trait à l’immigration (FAS en particulier), ainsi qu’aux structures militantes (fédérations associatives de migrants, ONG). C’est dans ce cadre que le CEDEP a participé activement au CAIF (Conseil des Associations Immigrés de France), particulièrement dynamisé par des associations maghrébines.

Les premières années 80 sont témoins de l’émergence d’actions culturelles publiques, plus ou moins visibles, portées par des portugais de France. Signalons le Collectif d’action culturelle « Centopeia », constitué de jeunes, qui prend l’initiative d’organiser et de participer à des expositions publiques, des débats, théâtre, cinéma, et autres actions culturelles militantes pour faire connaître leur communauté1.

Dans la suite de l’action de l’association de jeunes Cap Magellan émerge une Coordination des Collectivités Portugaises de France (CCPF), qui mènera diverses activités parmi lesquelles des Rencontres annuelles de Lusodescendants.

« Convergence 84 pour l’égalité », après la dite Marche des Beurs (1983), a été une initiative dans laquelle des jeunes portugais – alliés à des jeunes d’origine maghrébine, d’origine française et avec une fraction des marcheurs de l’année précédente – ont un rôle déterminant, en particulier dans l’organisation des trajets à mobylette qui devaient converger vers Paris. Hélas, les médias, en général, «n’ont pas vu» la participation portugaise, et la thématique de la valorisation de la diversité ethnique française a été abandonnée en cours de route. C’est l’antiracisme qui a été repris en changeant ainsi l’orientation générale prise au départ de la mobilisation.

Cette péripétie est venue renforcer l’analyse donnant aux immigrés portugais la qualité d’ »invisibles ». Cette «invisibilité» se présentait ici sur un aspect négatif : leurs initiatives au sein de la société française passaient inaperçues.

 

REFERENCES

Blog : https://blogs-mediapart.fr/albano-cordeiro/blog

bibliographie de Albano Cordeiro (in Cairn.info) :

– Une conception alternative de l’immigration en Europe

Dans Les Lois de l’inhospitalité (La Découverte, 1997)

Premières lignes https://www.cairn.info/biblio.php?id_numpublie=DEC_FASSI_1997_01&id_article=DEC_FASSI_1997_01_0235

Articles de revues

 

Les Portugais et les marches de 1983 et 1984Les dessous de la manipulation raciste de l’opinion publique distinguant des communautés “visibles” et “invisibles”

Dans Migrations Société 2015/3 (N° 159-160)

Premières lignes  https://www.cairn.info/biblio.php?id_numpublie=MIGRA_159&id_article=MIGRA_159_0171

 

Vous avez dit « Démocratie réelle » ?

Dans Multitudes 2014/1 (n° 55)

Résumé Version HTML Version PDF https://www.cairn.info/biblio.php?id_numpublie=MULT_055&id_article=MULT_055_0203

 

Convergence 84 : retour sur un échec

Dans Plein droit 2005/2 (n° 65-66)

Résumé Version HTML Version PDF https://www.cairn.info/biblio.php?id_numpublie=PLD_065&id_article=PLD_065_0059

 

Le va-et-vient des Portugais en Europe

Dans Revue Projet 2002/4 (n° 272)

Résumé Version HTML Version PDF https://www.cairn.info/biblio.php?id_numpublie=PRO_272&id_article=PRO_272_0063

ouvrages collectifs

  1. CORDEIRO, (1997). “A communauté portugaise aujourd’hui”, communication inaugurale du

colloque “Portugais de France, citoyens de l’Europe: état des lieux et avenir” (3 avril 1993), in

Actes des Assises de la Communauté Portugaise de France”, éd. ACAP.

  1. CORDEIRO, (1997). “Une conception alternative de l’immigration en Europe”, in D. FASSIN,

Alain MORICE et Catherine QUIMINAL, “Les lois de l’inhospitalité – les politiques de

l’immigration à l’épreuve des sans papiers”, La Découverte/essais, pp. 235/248.

  1. CORDEIRO, (1999). “Les Portugais, une population “invisible ?”, in “Immigration et intégration

– l’état des savoirs”, La Découverte/ Textes à l’appui, pp. 106/111.

articles de revues (avec comité de rédaction)

  1. CORDEIRO, (1997). Responsabilité de la préparation d’un numéro d’Hommes & Migrations sur l’immigration portugaise en France, n° 1210, novembre-décembre 1997.
  1. CORDEIRO, (1999). “Les apports de la communauté portugaise à la diversité ethno-culturelle

de la France”, in Hommes & Migrations, n° 1210, nov-déc. 1999, pp.5/17.

A. CORDEIRO et M. A. Hily (2000). « La fête des portugais : héritage et invention », in Revue

Européenne des Migrations Internationales, 2000 (16), pp. 59/76.

articles (revues diverses)

A . CORDEIRO, (1999). “Dans 10-15 ans – Que adviendra-t-il de l’identité des Portugais de

France?” in Latitudes, revue franco-portugaise, mai 1999.

A. CORDEIRO, (1999). “Le Portugal entre émigration et immigration – le Portugal et les défis d’une

société pluriculturelle ”, éditorial et coordination de numéro thématique de la revue Migrance,

édition Mémoire-Génériques n° 15, troisième trimestre 1999.

1 «Le Collectif Centopeia regroupe des jeunes issus de l’immigration portugaise. Notre démarche est de promouvoir de nouvelles pratiques culturelles, aider à naitre de nouvelles sources d’information, a fin que circulent et changent les idées ; notre but est d’influer sur la société française, pour que s’y affirment et s’y mélangent de manière toujours plus riche ses diverses composantes culturelles. Notre activité est «multimédia» (écrit, expression radiophonique, audio visuel, bande dessinée, etc.). » – extrait de la brochure « Thos : chuchotements dans l’arrière-cour », publication du Collectif Centopeia, 64 p., 1985.  

Se défaire de ses archives par Albano Cordeiro

Ce texte correspond à la transcription de l’intervention du sociologue Albano Cordeiro lors de la remise de ses archives à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), le 19 juin 2017. Ces archives font désormais du fonds Mémoire Vive/Memória Viva, qui rassemble des documents de nature diverses (archives personnelles, presse immigrée, documentation, archives militantes, entretiens ) sur l’Histoire de l’immigration portugaise.

Il se peut que le fait de se défaire de documents divers et variés que l’on a accumulé pendant sa vie active, provienne principalement du sentiment que leur mise au rebut constituerait une perte pour  l’évolution des connaissances dans les domaines sur lesquels porte la documentation en question.

Dans mon cas, j’ai eu à constituer et ensuite à conserver une documentation extrêmement variée dans différents domaines. Cette réalité résulte, d’une part de ma trajectoire au long  de ma vie universitaire et militante, et, d’autre part, de mon itinérance par divers espaces géographiques.

La diversité de mes archives reflète le fait que j’ai vécu en quatre espaces géographiques et socio—culturels  différents. Il s’agît du Mozambique, du Portugal, de l’Italie et de la France. A cette liste l’on pourrait encore ajouter le Luxembourg, où j’ai fait plusieurs séjours dont un de six mois, pour des raisons professionnelles. A cela il faut ajouter la documentation sur des thèmes concernant les migrations internationales.

En ce qui concerne l’immigration portugaise en France, je me suis particulièrement orienté vers le mouvement associatif local portugais, le mouvement associatif de migrants le plus important que la France a connu. Dans ce cadre, je défends l’analyse de la dite « invisibilité des portugais » issue d’un comportement de discrétion généralisé dans le milieu portugais, interprété comme étant dû à une capacité d’intégration facile dans la société française. Cette « invisibilité » et cette « facilité d’intégration » contrastaient avec la « visibilité » des immigrants d’origine maghrébine en particulier. Une visibilité issue d’une familiarité avec les institutions françaises (issus de pays anciennement colonisés par la France) et d’un contentieux historique pas complètement résorbé lié aux luttes pour les indépendances de ces pays.

Les longs séjours dans ces espaces ont laissé leur trace dans l’inventaire de la documentation  déposée. Pour ce qui concerne le dépôt en cours dans la BDIC  de Nanterre, il ne concerne que la France et en particulier l’immigration portugaise.  Mais la documentation accumulée sur plus de 40 ans concerne le Mozambique, l’Italie, la France et le Luxembourg. La production écrite propre (moi-même et avec d’autres auteurs), articles et autres publications (y inclus des DVD) font également partie de la documentation.

Ceci indépendamment des documents et œuvres diverses relatives à des questions idéologiques, principalement  sur le débat sur la démocratie, sujet toujours d’actualité et sur lequel j’ai travaillé longtemps (articles, dans une grande variété de revues et autres publications, ouvrages collectifs). De même avec le sujet de la « Nouvelle  Citoyenneté » (basée sur la résidence, donc sur l’idée du «Vivre Ensemble»),  développé en articles et ouvrages. Ajoutons le thème de la « citoyenneté collective », applicable aux acteurs collectifs des sociétés, et répondant aux exigences d’une démocratie participative, tandis que la « citoyenneté individuelle » est-elle- propre à la démocratie représentative.

En ce qui concerne les thèmes politiques, la documentation recueillie touchait une grande variété de sujets,  seulement une petite partie fut sélectionnée pour la donation, entre autres pour des raisons de langue.

QU’EST-CE QUE ME LIE AU MOZAMBIQUE ?

Je dis Mozambique –et particulièrement Maputo (ex-Lourenço Marques) –  pourquoi ?

Parce que ce fût là que j’ai ouvert les yeux sur le monde qui m’entourait, en sortant de l’enfance, Et c’est dans ce monde là, pendant l’adolescence, que je me suis construit. J’ai donc développé un sentiment d’appartenance au monde connu là-bas.

Pas facile dans une société coloniale. Multiples situations de peur, réelles ou supposées, structurent les individus. 

Du fait de ma fréquentation de milieux de gens attachés à des idées de gauche, j’ai adhéré à l’idée d’indépendance politique du pays, issue logique pour sortir des peurs et  construire un avenir pour tous. J’ai suivi les luttes dans ce sens qui se développent alors dans les pays africains.

J’ai eu la chance de sortir exempté de l’examen d’entrée à l’armée. Cela s’est passé 4 ans avant le déclenchement de la guerre coloniale. Quittant le Mozambique pour faire des études universitaires au Portugal, je m’engage progressivement dans la lutte pour l’indépendance des colonies et je deviens responsable  dans l’Association des Etudiants des Colonies Portugaises (C.E.I.), en tant que Secrétaire Général de la section de cette association à l’Université de Porto. 

Avec d’autres militants pour l’indépendance des colonies, lorsque que la guerre coloniale est déclenchée en Angola (1961), je prends l’exil pour rejoindre les mouvements nationalistes des colonies portugaises et pour reproduire à l’extérieur l’Association des Etudiants des Colonies Portugaises. Celle-ci (UGEAN) est créée en 1961 à Rabat. Je ferais partie de la commission d’organisation du 2ème Congrès de l’UGEAN tenu à Rabat (1962). 

Je suis revenu sur le terrain, au Mozambique bien d’années après, En 1994, j’ai été Observateur International, pour l’Union Européenne, aux premières élections présidentielles et législatives libres tenues au Mozambique. Pour la Ligue Mozambicaine des Droits Humains (LMDH), j’ai été encore Observateur aux élections de 1999 et 2009.

L’ITALIE

Comme d’autres étudiants des colonies portugaises exilés à Paris en 1961, j’ai obtenu via le Conseil Mondial des Eglises, et en particulier, la CIMADE, une bourse pour poursuivre les études à Rome.

Pendant le séjour à Rome (5 années), j’ai poursuivi mes contacts avec les étudiants des colonies portugaises, en tant que membre de l’UGEAN (voir ci-dessus). J’ai été amené à avoir des relations militantes avec le PCI (Parti Communiste Italien) dans le cadre de la mise en relation avec des leaders du mouvement nationaliste des colonies portugaises et en particulier du Mozambique.

J’ai participé aux mouvements étudiants, principalement à la grève de 1965 et celle de fin février 1967 (manif Valle Giulia, fac architecture de Rome).

J’ai cherché à suivre la production d’idées politiques dans les mouvements minoritaires de jeunes. J’ai ainsi suivi Lotta Continua  e Potere Operaio, ainsi que, plus tard, les Brigatte Rosse. Ces mouvements je les ai suivis même après mon installation à Grenoble (fin 1966). Dans les premières années de l’installation à Grenoble, j’allais, de temps à autre, le week-end, à Turin pour suivre l’action militante de Lotta Continua auprès des ouvriers de FIAT.

Dans les années 80, cette expérience mène à établir des relations amicales avec Oreste Scalzone (leader étudiant italien très connu) qui se réfugie en France à cette époque.

FRANCE

Mes premiers travaux professionnels d’économiste sociologue ont porté sur les conditions de vie et de travail des travailleurs migrants algériens en France. J’approfondissais par ailleurs d’autres aspects touchant la diversité de la migration économique.

J’ai vécu pleinement les évènements de 1968 à l’Université des Sciences Humaines de Grenoble, en m’associant avec le mouvement étudiant local émergeant suite aux grandes manifestations d’étudiants de Paris début Mai 68. Ce mouvement réussit à prendre le bureau de l’UNEF à une direction d’influence trostkyste qui a poursuivi des luttes encore sur l’année 1969.

Bien qu’inséré – en tant que migrant moi-même – dans le mouvement associatif local et national portugais, je n’aborderais ce sujet comme thème de recherche que dans la période qui suit le coup d’état du 25 Avril 1974. Alors, spontanément et en quelques jours je produis un petit rapport sur le mouvement associatif local qui fût envoyé ensuite au Secrétaire d’Etat aux Communautés immigrées du gouvernement formé après le coup d’état.

Cette participation aux luttes d’étudiants et de soutien aux luttes ouvrières (présence dans les manifestations d’ouvriers grévistes), a été probablement à l’origine d’un arrêté d’expulsion du territoire qui m’a été communiqué oralement par le directeur de mon institut de recherche. Quelques heures après cette annonce, je passais la frontière avec l’Italie, où je me suis réfugié pendant un mois. Le retour a pu néanmoins avoir lieu, l’arrêt d’expulsion n’ayant pas été mis à exécution.

Huit ans plus tard, ayant déposé une demande de naturalisation française, j’ai eu la surprise de recevoir un refus. J’ai fini par l’avoir, quelques années après. La gauche mitterrandienne avait accédé au pouvoir et j’ai mis au courant de ma demande le responsable de la Commission Immigration du PS, ainsi que le directeur du Fonds d’Action Social (FAS). Le Ministre de l’Intérieur, Gaston Deferre, m’a averti que ma demande serait examinée (dossier « naturalisation » dans les archives déposées).

Dans les années 80 – années pendant lesquelles le Portugal mène une politique plus ouverte envers les communautés émigrées – en France, avec un gouvernement dominé par le PS, le mouvement associatif local des Portugais se développe et prend des proportions nouvelles avec des échanges bien plus importants que dans la décennie précédente. Le SPAC (Service d’Aide aux Communautés), intégré dans les services consulaires, facilite le lien entre dirigeants associatifs actifs et dynamiques. Des groupes de jeunes, issus le plus souvent des groupes folkloriques crées dans les associations de leurs parents, créent des groupes musicaux ou/et de dance.

C’est dans ce contexte qu’est créé le CEDEP (Collectif d’Etudes et Documentation de l’Emigration Portugaise), en 1982. Le CEDEP a réuni des dirigeants associatifs, des chercheurs et animateurs d’associations et ONG françaises, y inclus la Pastorale des Migrants, et des membres du SPAC, à titre individuel. Le membre fondateur le plus engagé fut Manuel Dias, son premier président. José Vieira, après son engagement dans Convergence 84 Pour l’Egalité (1984), a été l’animateur du CEDEP préparant une exposition de photographies sur l’immigration portugaise (1985).

Une des raisons qui ont amené à la création du CEDEP fût la prise de conscience d’un certain isolement du mouvement associatif portugais en France. Cet isolement était partiellement dépassé dans le cas de dirigeants associatifs (peu nombreux) plus ou moins proches de certaines structures sociales (telles que des partis politiques, église catholique ou mouvements antifascistes radicaux). Le CEDEP a cherché des liens avec des structures officielles ayant trait à l’immigration (FAS en particulier), ainsi qu’aux structures militantes (fédérations associatives de migrants, ONG). C’est dans ce cadre que le CEDEP a participé activement au CAIF (Conseil des Associations Immigrés de France), particulièrement dynamisé par des associations maghrébines.

CONVERGENCE 84 POUR L’EGALITE, après la dite Marche des Beurs (1983), a été une initiative dans laquelle des jeunes portugais – alliés à des jeunes d’origine maghrébine, d’origine française et avec une fraction des marcheurs de l’année précédente – ont un rôle déterminant, en particulier dans l’organisation des trajets à mobilette qui devaient converger vers Paris. Hélas, les médias, en général, «n’ont pas vu» la participation portugaise, et la thématique de la valorisation de la diversité ethnique française a été abandonnée en cours de route. C’est l’antiracisme qui a été repris en changeant ainsi l’orientation générale prise au départ de la mobilisation .

Cette péripétie est venue renforcer l’analyse donnant aux immigrés portugais la qualité d’«invisibles ». Cette «invisibilité» se présentait ici sur un aspect négatif : leurs initiatives au sein de la société française passaient inaperçues.

 

 

Portrait d’un émigré – Miguel PadeiroPortrait d’un émigré – Miguel Padeiro

Tu sais, ses mains sont sales, elles bougent peu mais t’assènent d’elles-mêmes des histoires bruyantes et évasives, trop mais pas assez, toujours trop mais pas assez. Elles l’ont trahi plusieurs fois, m’ont tenu, secoué, caressé, battu aussi. Elles portaient cette valise qui se dérobe soudain au-dessus du rio Tâmega, et désormais restent seules, se réfugient dans les poches trouées d’un pantalon au gris déteint. J’aurais presque honte des miennes à côté lorsque nous discutons en silence, qu’il regarde sa télévision toujours allumée et que je fais mine de regarder quelque point invisible parterre ou sur le mur, mes mains fines et méticuleuses comme des pattes d’araignée, silencieuses comme un chien battu. J’en aurais honte comme de ma valise à roulettes qui n’incommode personne, de mes étagères trop sages où se côtoient mollement, sans se défier, La Peste et L’Intranquillité, de mes habits si neufs que je crois ne les avoir jamais portés.

Mes mains sont propres, resteront seules et sans histoire. Le monde déroule sa trame ailleurs, dans les plus petits plis de ses gros doigts boudinés où les poussières sédimentées s’enlisent, que mille lavages n’évacueront plus. Elles ont traîné pinceaux et parpaings, semé canalisations, murs et trottoirs dans cette ville qui appartient à aux autres, ouvert la fameuse gamelle du travailleur, ah ! comme je hais depuis lors les gamelles ! La sienne était métallique, rouge, haute et trapézoïdale, aussi humble que possible, et maman la remplissait d’un tas de choses qui, mélangées de la sorte comme en quelque fosse commune, me paraissaient toujours immangeables. La gamelle de papa, je ne le savais pas encore, allait se rappeler à moi encore longtemps. Cadavérique il s’en allait le matin, ignorant de sa propre tristesse qu’il enterrait pourtant le soir dans du vin de mauvais goût.

Petit pourtant, je voulais être « travailleur » – comme papa. J’étais pressé de grandir, je voulais tenir le rôle de celui qui parlait et criait le plus fort, découvrait le soir ses grandes mains pleines de peinture blanche et à qui maman servait une épaisse sopa de feijão[1] qu’épaississaient encore de gros morceaux de choux, de navets et de chorizo, et le pain qu’ajoutait encore papa sous mon regard attentif. Je voulais moi aussi être un grand homme, persuadé de ce que papa, une fois dehors, criait sur les autres comme à la maison et peignait ce qu’il voulait, où il voulait, avec les teintes que lui seul choisissait. Dans les aventures que j’échafaudais, avachi parterre, et où s’entrechoquaient sous mes doigts cruels de petites voitures de toutes les couleurs, c’était toujours moi qui gagnais les combats contre les méchants et j’imaginais que papa, tout en inventant quelque part des immeubles debout sous le regard ébahi de nombreux admirateurs, pouvait regarder mes victoires à travers une boîte magique qu’il aurait évidemment construite de ses mains. En réalité, petit, je ne savais pas ce qu’était un patron, j’ignorais la complexité des catégories sociales, je ne savais pas non plus qu’on pouvait être étranger et parler avec un accent. Ces découvertes tardives marquèrent, je crois, la fin de mon innocence.

C’est alors, me semble-t-il, que j’ai commencé à arracher la peau du bout de mes doigts, laissant croire à une nervosité quelconque comme l’autre là, Berthe, qui se ronge les ongles, mâchonne un crayon et râle sans cesse sur ses pâles gosses mal dégrossis. J’arrache aussi la peau de mes lèvres – elles saignent parfois. Démultipliant ainsi les traces de ma présence, mes inutiles bouts de peau qui s’enfoncent en même temps dans l’oubli, je fais de mes espoirs d’ubiquité un vague rêve heureux tout juste troublé, le matin, par l’odeur d’eau chaude que me renvoie le four à micro-ondes ou par les cris de ces satanés éboueurs dont les noms et les paroles m’échappent. De ces bouts de doigts éparpillés ne naît qu’une certitude : l’envie de les user à défaut d’être ailleurs ou partout ou un autre. Il me faut les épuiser pour le rejoindre quelque part au fond de ses pensées distraites et percevoir, ne serait-ce qu’un peu, la rugosité du temps qui le ronge.

Car papa a les mains abîmées qui ne disent pas tout, à la manière de ces vieilles maisons aux pierres croulantes qui se dressent encore à demi au milieu de vergers laissés aux mauvaises herbes, de ces vieilles bâtisses dont plus personne ne dira rien sauf lorsque, à l’occasion d’un rapide détour au début d’un circuit touristique, une voix d’enfant s’élèvera comme en songe, maman, regarde la maison là-bas, elle est abandonnée ? Je n’ai, du reste, jamais su ce qu’est devenue la vieille gamelle rouge que papa emmenait tous les matins. Peu importe, à vrai dire, je ne partirai pas à sa recherche : papa a accompli le seul voyage qui vaille. Je peux toujours courir, je n’y verrai rien.

 

Miguel Padeiro

Octobre 2007



[1] Soupe de haricots, en portugais.

Maria Vitorino Pilré, 45 ans en 1970 lorsqu’elle émigra en France – Maria Vitorino PilréMaria Vitorino Pilré, 45 anos em 1970, quando emigrou para França – Maria Vitorino Pilré

[…]

Quand je suis arrivée à Paris, je suis allée vivre chez ma nièce Maria Gertrudes. Mais ce n’est qu’un mois plus tard  qu’elle m’a accompagné  pour trouver du travail. Mais dès qu’elle est allée au bureau, on m’a proposé du travail pour le lendemain. J’ai donc commencé à travailler mais  je ne parlais pas français, bien sûr. Mais j’avais la chance de savoir lire, et ça, ça m’aidait.. Comme je n’avais pas d’argent, ma nièce me donnait un billet de métro pour l’aller et un pour le retour. Un jour je me suis trompée et c’est la dame qui poinçonnait les billets qui m’a sauvée, elle  m’a dit d’attendre puis a crié à sa collègue en face  de me laisser passer. Et je suis passée, parce qu’à cette époque il n’y avait pas de machines, c’étaient les gens  qui poinçonnaient  les billets. Je travaillais toujours pour le même patron quand je me suis encore trompée. Je n’avais pas bien lu les panneaux. Je paniquais mais comme Dieu ne m’a jamais abandonné, un portugais qui se trouvait sur le même quai m’a aidé  et  m’a demandé ce qui se passait.  Je lui ai expliqué, il  a été très gentil et m’a accompagné jusqu’à mon quai. J’ai déjà dit et je répète que  Dieu ne m’a jamais abandonnée, ni en France ni ailleurs. Et j’ai continué ma vie de tous les jours.

 

Quand je suis arrivée à Paris chez ma nièce, le vingt mai précisément,  elle a insisté pour que je vienne habiter chez elle, ce dont je la remercie beaucoup. C’était  son anniversaire le lendemain et moi j’avais quarante cinq ans deux jours après. Elle m’a préparé un gâteau  mais j’ai avalé plus de larmes que de gâteau. Mais j’au dû  tout supporter puisque j’étais loin de mon pays.

 

J’ai commencé alors  à travailler –  du ménage – c’était le travail de tout le monde.

Je ne suis pas restée longtemps dans cette place car mon neveu Edouard m’a trouvé un autre travail où je gagnais plus.  J’ai accepté immédiatement, bien sûr. Cest pour gagner de l’argent que j’’étais venue en France. Je suis restée quelque temps chez ce patron. Un jour, un homme s’est blessé au pied et on l’a emmené à l’hôpital. Mon patron m’a demandé de le remplacer et je l’ai fait. C’était un travail de nuit. Je travaillais donc de minuit à cinq heures du matin mais je travaillais déjà  de neuf heures du matin à onze heures du soir ailleurs et de là je partais pour l’autre, de minuit à cinq heures. Comme c’était un travail d’homme, mon patron me demandait tous les jours si ça allait. Mais qu’est-ce que je pouvais répondre ? Je répondais que ça allait ! Je ne savais rien dire d’autre. Il pensait que c’était  impossible qu’une femme fasse ce travail sans se plaindre parce que pour les français en ce temps-là c’était impensable   qu’une femme fasse le travail d’un homme. Aujourd’hui je ne sais pas. A cette époque, je travaillais jour et nuit. Je n’avais que trois heures pour  manger et pour dormir. Mais qu’est-ce que je pouvais faire ? Je devais travailler, j’étais venue en France pour ça : pour  gagner ma vie. Mais à ce moment-là j’étais très contente parce  je voyais mon argent qui augmentait  comme je le voulais, c’est  pour ça que j’avais laissé mon fils au Portugal.

 

[…]

Maria Vitorino Pilré

[…]

Quando cheguei a Paris fui para casa da minha sobrinha Maria Gertrudes. Mas a minha sobrinha Maria só foi comigo arranjar trabalho quase um mês depois. Mas assim que ela foi ao escritório deram-me logo trabalho no dia seguinte. Comecei a trabalhar mas eu não sabia falar o francês – é claro.  Mas tinha uma coisa muito boa – sabia ler – e isso já me defendia qualquer coisa.  Como não tinha dinheiro, a minha sobrinha dava-me um bilhete de metro para lá e outro para casa.  Um dia eu enganei-me e o que me valeu foi a senhora que estava a picar o bilhete que me mandou esperar e gritou para a colega que estava do outro lado para me deixar passar.  Eu lá passei porque naquela altura não havia maquinas eram as pessoas que estavam a picar os bilhetes. Eu ainda estava a trabalhar para o mesmo patrão quando  tornei-me a enganar. Não vi bem os letreiros. Estava toda atrapalhada mas como Deus nunca me tem faltado, fui novamente socorrida por um português que estava no mesmo cais e me perguntou o que se passava. Eu expliquei, ele foi muito bondoso e levou-me ao cais aonde eu tinha que ir. Já disse e repito Deus nunca me tem abandonado nem em França nem em qualquer lado. E então lá segui a minha rotina de todos os dias.

Mas quando eu cheguei a Paris justamente no dia vinte de Maio a casa da minha sobrinha Maria ela quis logo que eu fosse para casa dela o que eu agradeci bastante. Ela fez anos no dia seguinte à minha chegada e eu fiz quarenta e cinco anos dois dias depois. Ela ainda me fez um bolo mas para mim era mais as lágrimas que o comer que comia.  Mas tudo tive que suportar uma vez que já estava longe.

Então comecei a trabalhar para um patrão a fazer limpeza que era o trabalho de toda a gente -é claro. Neste patrão estive pouco tempo porque o meu sobrinho Eduardo arranjou-me outro patrão para ganhar mais. E é claro que eu aproveitei logo. Foi para ganhar dinheiro que tinha ido para França. Neste patrão trabalhei algum tempo. Houve um dia que um homem cortou um pé e foi para o hospital. O meu patrão pediu para eu ir fazer o trabalho no lugar dele e eu fui. Era um serviço de noite. Eu fui da meia noite até ás cinco da manhã, mas eu já fazia um das nove horas até ás onze da noite também e dai partia para o outro da meia noite até as cinco da manhã. Como era um trabalho de homem o meu patrão todos dias me esperava para saber se eu estava bem. Mas o que eu podia dizer? Que estava bem ! Eu não sabia dizer mais nada. Ele achava que era impossível uma mulher fazer este trabalho sem se queixar porque para os franceses naquele tempo era muito difícil as mulheres fazerem o trabalho dos homens. Hoje não sei como é. Nesta altura eu trabalhei de noite e de dia. Apenas tinha três horas para fazer o comer e dormir porque tinha que ir para outro trabalho. Mas o que eu podia fazer? Tinha que trabalhar foi para isso que eu para lá fui  : para ganhar a vida. Mas nesta altura já andava muito contente porque já via o dinheiro a chegar ao que eu queria, por isso é que eu tinha deixado o meu filhinho em Portugal.

[…]

                                                       Maria Vitorino Pilré

Je suis concierge, tu es concierge, il est concierge…. – Maria Vitorino Pilré Eu sou porteira, tu és porteira, ele é porteiro… – Maria Vitorino Pilré

J’étais concierge depuis cinq ans quand j’ai rencontré quelqu’un de mon village qui cherchait une place de concierge pour sa femme.

J’ai fait ce que j’ai pu pour lui. Je l’ai accompagné partout où il fallait. J’ai fait en sorte qu’il vienne s’installer à Paris car il habitait un petit village où il n’y avait pas de travail pour les femmes. Et c’est ce qu’il a fait. Il s’est installé à Paris et il a gardé cette place très longtemps.

Plus tard, quelqu’un lui a trouvé une autre loge et il a, bien évidemment, pris la place car, comme il avait eu un accident, il ne pouvait pas travailler ; sa femme a donc gardé une loge et lui, l’autre. Nous avons continué à nous voir car j’habitais à côté de la première.

Mais lorsque les choses se sont arrangées pour lui, évidemment, comme chacun de nous, il a voulu rentrer au Portugal et il m’a demandé si j’étais intéressée par la place de concierge qu’il occupait Avenue Félix Faure.  Bien sûr, j’ai tout de suite dit oui. Ça tombait très bien pour moi. Sauf que j’avais été hospitalisée huit jours et que je venais de sortir de l’hôpital quand il m’a appelée mais j’y suis quand même allée.

Je me suis donc présentée à 8h30 comme convenu et je l’ai attendu jusqu’à midi. Comme il ne venait pas, je suis allée à sa recherche. Il a eu le culot de me dire qu’il n’avait pas voulu me présenter au gérant avant de me parler car il voulait savoir si j’étais prête à lui donner 1000 francs en échange de sa place. Je lui ai tout de suite répondu que ce n’était pas la peine de  me faire attendre dans le froid à cause de l’argent car il me connaissait. S’il voulait de l’argent, je lui en donnerais.

Et c’est ce qui s’est passé, je le lui ai donné son argent. Sauf qu’il n’a pas été correct avec moi. On s’était mis d’accord : je lui donnais son argent et il me laissait quelques meubles qu’il ne pouvait pas ou ne voulait pas emporter. Il devait aussi me laisser la chambre en l’état, avec le tapis et le papier peint. Mais, lorsque j’ai emménagé, tout avait été saccagé dans la chambre et les meubles d’en bas n’étaient plus là. Il n’a pas tenu sa promesse mais il a gardé mon argent. J’étais très en colère mais, grâce à Dieu, j’ai supporté tout ça et je suis restée dans cette place jusqu’à mon retour au Portugal car j’ai toujours aimé rendre service.

(…)

Maria Vitorino Pilré

[…]

Quando eu já estava há cinco anos a ser porteira apareceu-me uma pessoa da minha terra que ia ver uma casa de porteira também para a sua mulher e eu ajudei o que pude. Andei com ele e dei as voltas que foram precisas. E  fiz aquilo que pude para que ele viesse para Paris porque aonde ele estava era um terra pequena e não havia trabalho para as mulheres poderem ajudar os maridos.

E assim foi. Ele veio para Paris e permaneceu nesta casa muito tempo.

Mais tarde arranjaram-lhe outra loja e é claro que ele aproveitou como ele não podia trabalhar porque tinha tido um acidente, pôs a mulher numa casa e ele ficou na outra. Nós continuámos a conviver na mesma porque eu vivia perto da primeira loja. Mas quando ele arranjou a sua vida como era normal quis vir para Portugal como todos nós e pensou perguntar-me se eu estava interessada em ir para a outra casa aonde ele estava na Avenue Félix Faure. É claro que eu disse logo que sim. Para mim era formidável. Só que eu tinha estado no Hospital oito dias e tinha saído no dia que ele me telefonou, mas não faltei.

Lá estive ás oito e meia da manhã, como ele me mandou, até ao meio dia. Como ele não me apareceu, fui eu à procura dele. Mas ele teve o descaramento de me dizer que não tinha querido aparecer porque não me queria levar ao gerente antes de falar comigo para saber se eu lhe dava mil francos para eu poder entrar para lá. Logo lhe respondi que não valia a pena fazer-me estar ao frio à espera dele por causa do dinheiro porque ele sabia quem eu era, se ele queria o dinheiro eu dava-lho.

E assim foi. Dei-lhe o dinheiro que me pediu. Só que ele não foi sério para mim. Eu dava-lhe o dinheiro e ele deixava na casa algumas peças da mobília que ele não podia levar nem queria. Também me deixava o quarto com o tapete e o papel. Só que quando eu cheguei encontrei tudo destruído no quarto, e as peças cá em baixo não estavam. Ele tinha faltado ao que me prometeu mas levou o dinheiro. Eu fiquei furiosa mas com a ajuda de Deus tudo suportei e continuei na casa até me vir embora porque eu era muito amiga de ajudar toda a gente.

[…]

Maria Vitorino Pilré

Il est assis devant une cabane et me sourit – Maria do Céu CunhaIl est assis devant une cabane et me sourit – Maria do Céu Cunha

J’avais huit ans en 1962 lorsque j’ai vu pour la première fois le pays qui allait devenir le mien : la France m’arriva sous la forme d’une photo couleur, c’était la première en vérité. La couleur transfigurait la misère, jusqu’à l’effacer.

Cette photo ne pouvait se comparer avec celles de Monsieur Martins, le photographe du village qui ajoutait du rouge à nos visages et à nos lèvres, dans les portraits noir et blanc qu’il prenait de nous lors des grandes occasions. Comme avant que mon père ne parte en France, celle où nous y sommes en rang, tous les quatre, très droits : mon frère arbore l’air féroce des timides, moi j’ai posé mon sourire d’emprunt qui révèle ces larges dents qui pendant toute l’enfance m’ont tant fait souffrir. Ma mère est belle, avec sa grosse tresse roulée en arrière, mais mon père a l’air triste. Bien plus tard il m’est apparu qu’il avait peut-être peur, lui qui n’avait peur de rien. C’était l’homme le plus grand et le plus fort du village, mais il n’avait encore  jamais traversé les frontières.

 Dans cette autre photo qui vient de m’arriver par la poste,  il est assis devant une « cabane » et me sourit. C’est dans ce pays de couleur que, dit-il, nous irons bientôt le rejoindre. Comment reconnaître quelques mois après, dans l’univers de boue où nous arrivons par une sombre journée d’hiver, le lieu tant rêvé de la photo? Nous sommes dans le bidonville de Champigny, les Portugais s’y massent par milliers, fuyant la guerre et la misère, avec chevillée au corps, cette hantise des émigrés, la faim de mieux gagner leur vie comme de devenir quelqu’un.

 […]

 

Maria do Céu Cunha – avril 2004

Dès mon arrivée à l’usine – Manuel MadeiraDès mon arrivée à l’usine – Manuel Madeira

Dès mon arrivée à l’usine, j’ai sombré dans un naufrage collectif. Je me suis noyé dans l’alcool ! Cette drogue douce est une arme redoutable pour anéantir à petit feu la sève de la vie qui à l’intérieur de chacun de nous alimente la fleur fragile de notre personnalité.

 

Mais par ailleurs, le vin était aussi la meilleure clé pour pénétrer dans cette communauté formée par le groupe d’ouvriers de l’atelier où j’ai atterri. Avant sa résignation définitive, il y a toute une longue prépara­tion durant laquelle le vin est un médicament, un baume précieux pour assister l’indi­vidu dans l’acceptation du deuil qu’il doit faire de sa propre vie; pour l’aider à renoncer aux rêves et aux aspi­rations qui bercèrent son adolescence quant à son avenir, où quant à l’aventure de son existence.

 

Lui faire oublier l’alternative de quitter cet univers qui s’est refermé sur lui et où l’ombre de la mort se profile déjà dans la répé­tition inlassable des gestes de son quotidien définitivement figé. Lui faire oublier l’alternative de  vaincre la peur de l’insécurité sociale que s’est cristallisée en lui comme résultat de tant d’années, que dis-je, tant de siècles d’oppression et de misère que l’histoire a inculqué au plus profond de l’inconscient collectif de sa classe et de renoncer à cette fausse illusion sécuritaire qui lui offre la société indus­trielle.

 

Mais ces chaînes invisibles sont plus puissantes, plus efficaces que toutes les polices! Sa révolte sera progressivement noyée dans ce rituel au vin rouge que me fait songer à un autre: bois! « Ceci est mon sang ».

[…]

 

Manuel Madeira

Le bruit intense des machines – Manuel MadeiraLe bruit intense des machines – Manuel Madeira

Le bruit intense des machines rendait difficile notre communication orale et il était devenu naturel que dans l’usine les gestes remplacent la parole. Parfois j’avais la vive impression d’être tombé dans un univers de sourds­-muets.

 

Marcel, avait aussi compris que j’étais étranger et que je ne parlais pas sa langue. Pourtant il mani­festait une réelle volonté de communiquer avec moi et multipliait les signes en ma direction de telle sorte que nous avions bientôt créé un grand nombre de figures codées qui nous autorisaient un bon niveau d’échanges. Mais quand il s’ap­procha pour me parler, en élevant la voix pour surmonter le vacarme apocalyptique des machines, je n’ai pas pu lui répondre car je ne comprenais pas ce qu’il souhaitait me dire.

 

A ce moment là, j’ai perçu l’autre mur qui nous séparait. Je l’ai cru très déçu car il ne pouvait sûrement s’empêcher de songer à l’impasse dans lequel débouchait notre amitié naissante. Cela a suffit, d’ailleurs, à ce que, instinc­tivement, je me retire dans mon espace intérieur.

 

Ma per­ception de la réalité fut considérablement affectée par ce handicap. Ne plus comprendre ce qui se disait autour de moi fut vécu comme une infirmité et le monde vu de cet enfermement­-là était devenu absurde. Alors que le langage perdait toute signification, les bruits, eux, libérés du sens prirent une grande acuité et atteignaient mon corps comme une énergie pure qui me rendait facilement irritable.

 

[ …]

Manuel Madeira