L’orange – par Cândida Rodrigues

L’orange

[…]

Un beau jour de 1965, mon père a été dénoncé. Il s’est échappé, et s’en est sorti, seul, et les pieds en sang. Il est arrivé en France, à Toulouse où il avait un frère, et une tante bigote.

Ma mère, elle, a pleuré, est retourné chez ses parents jusqu’à ce qu’il lui donne signe de vie.

Clandestines, nous le retrouvâmes en 1967. Deux ans pour faire 1500 kms, en ce temps là on savait prendre le temps de voyager!

De Toulouse, mon père avait trouvé et payé un passeur, originaire de Chaves. Il avait prévenu ma mère par courrier. En ce temps là, les femmes mariées devaient voyager avec l’accord du mari. Obtenir un passeport était exclu, nous allions voyager sans filet !

Nous sommes partis avec un frère de mon père, (déserteur, je crois), par le train, de Grândola, via Lisbonne, jusqu’à Chaves où nous avions rendez-vous. Nous avons rêvé le temps du trajet, arrivés au lieu dit, personne ne vint. Nous avons fait demi-tour. Retour à la case départ.

Quelques semaines, peut-être était-ce, quelques mois plus tard, nous sommes repartis à Chaves. Cette fois, le passeur était là. Combien étions-nous ? 5, ou plutôt 10 clandestins à l’appel. Les instructions étaient très strictes : la frontière se passait à pied, la nuit, et séparés les uns des autres pour échapper plus facilement aux chiens et à la vigilance des douaniers.

Le premier obstacle a été brillamment passé. Aucune arrestation. De vrais indiens ! Pensez-vous qu’une petite fille de 5 ans ait peur la nuit ? Détrompez-vous, même pas faim, même pas soif, même pas sommeil, et même pas de pleurs ! (ils pourraient entendre !)

En Espagne, nous prenons le train jusqu’à la frontière Irun/Hendaye. Cette fois, nous attendons la nuit pour dormir dans un grenier, où, damned, au petit matin, j’ai oublié ma robe à pois bleus, faite sur mesure, par Tia Beatriz. Inconsolable, j’ai été, longtemps.

L’aventure continue pour rejoindre Papa, Maman me l’avait bien dit qu’on y arriverait, mais où est passé Ti João ?

Cette fois, nous passons la frontière de jour, Maman me tient par la main, nous sommes au milieu d’Espagnols qui se rendent de l’autre côté. Qu’est-ce-qu’ils font ? Ils vont travailler. L’un deux, complice et ému de voir une si jeune femme avec une enfant m’offre une orange.

C’est la fin du voyage.

A partir de cette date, le Portugal, Grândola, la famille, les amis, nous sont interdits, ils nous sont fermés. Nous pensions à eux, comme s’ils étaient prisonniers et nous, presque coupables d’être libres.

Cândida Rodrigues – avril 2004

L’orange

[…]

 

Un beau jour de 1965, mon père a été dénoncé. Il s’est échappé, et s’en est sorti, seul, et les pieds en sang. Il est arrivé en France, à Toulouse où il avait un frère, et une tante bigote.

Ma mère, elle, a pleuré, est retourné chez ses parents jusqu’à ce qu’il lui donne signe de vie.

Clandestines, nous le retrouvâmes en 1967. Deux ans pour faire 1500 kms, en ce temps là on savait prendre le temps de voyager!

 

De Toulouse, mon père avait trouvé et payé un passeur, originaire de Chaves. Il avait prévenu ma mère par courrier. En ce temps là, les femmes mariées devaient voyager avec l’accord du mari. Obtenir un passeport était exclu, nous allions voyager sans filet !

Nous sommes partis avec un frère de mon père, (déserteur, je crois), par le train, de Grândola, via Lisbonne, jusqu’à Chaves où nous avions rendez-vous. Nous avons rêvé le temps du trajet, arrivés au lieu dit, personne ne vint. Nous avons fait demi-tour. Retour à la case départ.

 

Quelques semaines, peut-être était-ce, quelques mois plus tard, nous sommes repartis à Chaves. Cette fois, le passeur était là. Combien étions-nous ? 5, ou plutôt 10 clandestins à l’appel. Les instructions étaient très strictes : la frontière se passait à pied, la nuit, et séparés les uns des autres pour échapper plus facilement aux chiens et à la vigilance des douaniers.

Le premier obstacle a été brillamment passé. Aucune arrestation. De vrais indiens ! Pensez-vous qu’une petite fille de 5 ans ait peur la nuit ? Détrompez-vous, même pas faim, même pas soif, même pas sommeil, et même pas de pleurs ! (ils pourraient entendre !)

 

En Espagne, nous prenons le train jusqu’à la frontière Irun/Hendaye. Cette fois, nous attendons la nuit pour dormir dans un grenier, où, damned, au petit matin, j’ai oublié ma robe à pois bleus, faite sur mesure, par Tia Beatriz. Inconsolable, j’ai été, longtemps.

L’aventure continue pour rejoindre Papa, Maman me l’avait bien dit qu’on y arriverait, mais où est passé Ti João ?

Cette fois, nous passons la frontière de jour, Maman me tient par la main, nous sommes au milieu d’Espagnols qui se rendent de l’autre côté. Qu’est-ce-qu’ils font ? Ils vont travailler. L’un deux, complice et ému de voir une si jeune femme avec une enfant m’offre une orange.

C’est la fin du voyage.

 

A partir de cette date, le Portugal, Grândola, la famille, les amis, nous sont interdits, ils nous sont fermés. Nous pensions à eux, comme s’ils étaient prisonniers et nous, presque coupables d’être libres.

 

Cândida Rodrigues – avril 2004

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