Bidonville de Champigny : « Nous nous opposons à l’instrumentalisation de notre histoire et de nos mémoires »

Bidonville de Champigny par Gerald Bloncourt

Avec d’autres Français d’origine portugaise et des immigrés Portugais vivant en France, certains membres de l’association Mémoire Vive ont signé une tribune parue dans Le Monde pour protester contre l’instrumentalisation de l’histoire du bidonville de Champigny-sur-Marne.

Ces manipulations sont à la fois un manque de respect vis-à-vis de la vérité historique, de l’histoire des immigrés portugais en France et de ce qu’ils ont vécu et sont des armes xénophobes que nous ne pouvons pas accepter.

Si vous vous retrouvez dans cette tribune, que nous avons reproduit ci-dessous, n’hésitez pas à la diffuser ! Lien à partager

Une pétition a également été lancée https://www.change.org/p/hugo-dos-santos-non-%C3%A0-ceux-qui-voudraient-instrumentaliser-l-histoire-de-l-immigration-portugaise

La tribune a également été relayée au Portugal https://www.publico.pt/2018/01/10/sociedade/noticia/portugueses-contra-instrumentalizacao-da-historia-da-emigracao-para-franca-1798858

Ni bons ni mauvais: réponse à ceux qui voudraient instrumentaliser l’histoire de l’immigration portugaise

Il n’est pas rare de s’entendre dire que les immigrés portugais en France ne font pas d’histoires. D’une manière générale, cette immigration sert aujourd’hui d’exemple à ceux qui cherchent à mettre en avant une stratégie d’«intégration réussie», voire à mettre en avant une figure de «bon» immigré, un peu comme un professeur désignerait le chouchou de la classe.

Les incidents qui se sont déroulés à Champigny-sur-Marne le réveillon du Nouvel An ont été instrumentalisés en ce sens par le journaliste du Figaro Alexandre Devecchio, l’universitaire Laurent Bouvet et le journaliste Benoît Rayski. S’appuyant sur un article du Parisien, daté du 21 juin 2015, le premier déclare sur Twitter que «Champigny était le plus grand bidonville de France. Plus de 10.000 Portugais y vivaient dans la boue. Pas d’eau, pas d’électricité, etc. Et pas de violence, ni association pour crier au racisme. Qui peut dès lors nier la désintégration française?».

Cette allusion prétendument historique est reprise deux jours plus tard par Laurent Bouvet sur le plateau de «28 minutes» d’Arte, lors d’un débat portant sur la laïcité. Voulant démontrer que, de nos jours, le «problème des banlieues» ne serait plus seulement «social», il invoque les bidonvilles portugais où il «n’y avait pas de relations de violence». Enfin, sur le site Atlantico.fr, Benoît Rayski reprend ce même article du Parisien pour, également, opposer des populations immigrées et/ou issues de l’immigration. Selon lui, parmi les descendants de Portugais «aucun d’entre eux n’a appris à détester la France» mais «après eux d’autres populations sont venues».

Nous, immigrés et Français descendants d’immigrés portugais, nous ne pouvons tolérer ces affirmations et ceci pour deux raisons principales.

D’abord, s’il y a un bon élève, il y a forcément un mauvais élève. Et celui que l’on pointe du doigt est en l’occurrence, celui qui n’est pas «blanc» et/ou «chrétien». Nous comprenons évidement les allusions sans finesse de ces journalistes. En effet, nous avons pris l’habitude d’être instrumentalisés pour jeter la pierre sur d’autres populations jugées par certains comme inassimilables.

Dans les années 1980, le sociologue Albano Cordeiro (1) a mis en avant dans ses travaux la dynamique sociale qui consistait à invisibiliser l’immigration portugaise au profit d’une mise à l’index des immigrés maghrébins. Autrement dit, plus les «Arabes» devenaient indésirables, plus les Portugais devenaient invisibles et donc «intégrés». Ces immigrations sont donc liées depuis toujours, comme les deux faces d’une même monnaie, unies par le même mépris exprimé par une partie de la société d’accueil. Elles ont d’ailleurs été mise en concurrence depuis le départ. Rappelons que c’est pour freiner l’immigration algérienne que le gouvernement de Georges Pompidou ferme les yeux sur la venue clandestine de centaines de milliers de Portugais dans les années 1960-1970, fuyant la misère, la dictature et les guerres coloniales. A la figure de «l’Arabe» s’ajoutent aujourd’hui celle des Roms, des Africains subsahariens et des réfugiés fuyant les conflits du Proche-Orient.

D’autre part, les affirmations sur le bidonville portugais de Champigny-sur-Marne sont tout simplement fausses et non vérifiées. Il serait pourtant facile de se référer aux travaux de chercheurs l’ayant étudié. Si ces manipulateurs de l’Histoire pointent du doigt les misérables conditions de vie, ils oublient que lorsque ce bidonville a été médiatisé, en 1964, il avait fait l’objet d’une «humanisation» (2): raccordement à l’électricité, installation de points d’eau, collecte des ordures. Autant de rafistolages alors refusés aux bidonvilles où vivaient les Maghrébins. Un traitement différentiel, déjà.

Devecchio, Bouvet et Rayski nient toute «relations de violence» au sein du bidonville portugais. Relégués dans des espaces stigmatisés, de nombreux Portugais de l’époque ont souffert – et souffrent encore tant cette mémoire est difficile ou refoulée – d’une violence symbolique.
Violence exercée par les marchands de sommeil qui jouaient de la peur des travailleurs d’être dénoncés à la police politique portugaise dont ils suspectaient la présence d’informateurs en leur sein. Violence également de l’arbitraire qui présidait aux relogements par les autorités qui ne tenaient pas en compte la volonté des habitants de rester à proximité de leur emploi ou de leurs proches.

Face à ces relogements, certains ont résisté silencieusement, allant vivre dans un autre bidonville ou un autre taudis. D’autres protestaient, comme les habitants de Massy qui occupèrent temporairement la Mairie en 1970. Et, contrairement à l’image aseptisée que l’on colle aux Portugais, les autorités craignaient leurs réactions. Des forces de l’ordre étaient présentes à chaque opération de résorption, de peur de débordements.

Les travailleurs portugais ont eux aussi souffert du rejet de certains voisins qui se plaignaient de ces étrangers et exigeaient des autorités «l’intervention des forces de police (…): que le code civil soit respecté à Champigny». L’Histoire du bidonville de Champigny est donc bien plus complexe qu’on a voulu nous faire croire.

De plus, cette volonté de présenter les Portugais comme des gens sans histoires induit une injonction tacite: celle d’exister sans Histoire, voire sans mémoire. Nous ne pouvons l’accepter.

Quelle est notre Histoire? De quoi nous souvenons-nous? Des années de boue, évidemment, lorsque des dizaines de milliers de Portugais sont entassés dans des bidonvilles.

Sans papiers, ces immigrés ont cherché à survivre en travaillant où on leur en laissait la possibilité. Les métiers dont les Français ne voulaient plus leur étaient tout désignés: femmes de ménage, ouvriers du bâtiment, concierges, etc.

La clandestinité, l’exploitation, les bidonvilles, le racisme: nous avons vécu toutes ces expériences, comme les subissent les immigrants africains d’hier et d’aujourd’hui, à des degrés plus intenses. «La violence» dont parle Alexandre Devecchio c’est celle qu’on nous a fait subir hier et celle qu’on inflige aujourd’hui aux nouveaux arrivants qui fuient eux aussi la misère, des régimes oppresseurs et des guerres.

Enfin, rappelons que si certains d’entre nous ont choisi le silence, si rassurant dans une société qui tend à oublier la xénophobie exercée autrefois contre les Italiens, Espagnols ou Polonais, les immigrés portugais se sont aussi révoltés contre leurs conditions de vie en France, au grand dam des patrons français, des autorités et du régime de Salazar.

Nous pourrions ici évoquer la figure de Lorette Fonseca, une immigrée portugaise engagée dans l’alphabétisation du bidonville de Massy et qu’on a voulu expulser parce qu’elle aidait ses compatriotes à faire valoir leurs droits.

Nous pourrions également parler d’António da Silva. Cet ouvrier spécialisé de Renault Boulogne-Billancourt s’est battu contre les circulaires Marcellin-Fontanet en 1972-1973, le premier mouvement dit des «sans-papiers». L’arrêté du Conseil d’État qui annule plusieurs dispositions de ces circulaires porte son nom.

Qui se souvient de la participation active d’immigrés portugais à Convergence 84, une marche antiraciste qui s’est inscrite dans la continuité de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, qualifiée par les médias français de «Marche des Beurs»? Son arrivée à Paris avait été accueillie par des dizaines de milliers de manifestants de tous les horizons.

Nous nous souvenons de tous ces épisodes de révolte et de combat comme de beaucoup d’autres. Certains ont un peu marqué les esprits, d’autres beaucoup moins. La plupart sont malheureusement inconnus de la société française qui a gommé l’Histoire de ses immigrés. Or, en oubliant l’Histoire de ceux qui ont reconstruit le pays et continuent de le construire, on travaille à sa «désintégration».

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons publiquement à l’instrumentalisation de notre Histoire et de notre mémoire qui font également partie de l’Histoire de France. Ces manipulations ne cherchent qu’à renforcer le racisme qui frappe aujourd’hui certaines populations stigmatisées, de la figure du «Musulman» à celle du «Rom». Le slogan de la marche de Convergence 84 était «La France, c’est comme une mobylette, pour qu’elle avance, il lui faut du mélange». Le slogan reste toujours d’actualité.

(1) Sociologue et économiste spécialiste des questions migratoires

(2) Terme alors employé par l’administration

Liste des signataires de la tribune :

Victor Pereira, maître de conférences

Hugo dos Santos, journaliste

Daniel Matias, journaliste

Artur Silva, journaliste

José Vieira, réalisateur

Albano Cordeiro, sociologue et économiste

Mickaël Cordeiro, chargé d’études

Irene Pereira, sociologue

Irène dos Santos, chargée de recherche CNRS/anthropologue

Marie-Christine Volovitch-Tavares, historienne

Manuel Tavares, pédopsychiatre

Graça dos Santos, professeure des universités

Manuel Antunes da Cunha, sociologue des médias

José Pinto, ancien administrateur CGT du FASIL-ACSE

Maria Maranhão-Guitton, avocat au barreau de Paris

António Topa, poète

Clara Domingues, traductrice

Mickaël Robert-Gonçalves, historien du cinéma

Octávio Espírito Santo, directeur de photographie

Rose-Marie Nunes, photographe

Christopher Pereira, professeur d’histoire-géographie

Josélia Martins, chef d’équipe en entreprise

Carlos Rafael, professeur de portugais, retraité

Elisabeth de Albuquerque, professeur des écoles et directrice d’école maternelle en ZEP

Maryse de Albuquerque, professeur de français, retraitée

Manuela de Albuquerque, enseignante, retraitée

Maria Alves, secrétaire-comptable

Manuel Pereira, enseignant retraité

Elsa Bernardo, professeur de lettres

Anne-Marie Esteves, consultante

Cândida Rodrigues, chargée de production

Carlos Ribeiro, journaliste

Jérémie de Albuquerque, chef de projet informatique

Pedro Fidalgo, gardien d’immeuble et cinéaste

Angela Pereira, femme de ménage, retraitée

Jorge Valadas, ancien déserteur de l’armée coloniale portugaise, électricien

Nuno Martins, électricien, responsable syndical à la CGT/RATP

João Fatela, directeur de service social, retraité

João da Fonseca, éducateur spécialisé, retraité

José Barros, directeur d’établissement médico-social, retraité

Isabel da Cunha, directrice hospitalité

Manuel Gregório, formateur d’adultes et conseiller en bilans de compétence

Vasco Martins, formateur, retraité

Ludivine Privat, travailleuse sociale

Faustine Leuiller, accompagnante d’élèves en situation de handicap

Isabelle Segrestin, orthophoniste

Luciana Gouveia, responsable associative

Luísa Semedo, enseignante universitaire et responsable associative

Ilda Nunes, professeur de portugais et responsable associative

Waldemar Monteiro – Les émigrés portugais parlent. Vies et témoignages, Paris, Casterman, 1974

La rixe 

« Nanterre : 7.000 Portugais, dit le Secours Catholique. 15.000, rectifia le commissariat de police. Qui a raison, qui a tort ?

[…] Un grand nombre d’immigrés vit effectivement dans la clandestinité, échappant pour un temps plus ou moins long au contrôle de la police.

Nanterre, vaste agglomération d’immigrés de toutes origines, surtout Algériens et Portugais, se trouve dans la banlieue parisienne, au nord, juste après la Porte de Neuilly. Les immeubles y poussent partout. Les hommes et les machines ont dû harmoniser leur cadence avec le rythme infernal de la croissance, de la construction, de l’extraordinaire besoin de logements pour les Français et pour deux millions de travailleurs immigrés.

 » Le gouvernement français entend devoir se pencher sur les problèmes des travailleurs immigrés, surtout en ce qui concerne la construction de logements, mais les crédits débloqués à cette fin ne dépassent pas quarante nouveaux francs par travailleur immigré. Que peut-on faire avec des crédits tellement réduits ?  » (M. Talamoni, maire de Champigny).

Nanterre, c’est petit. Mais, en bordure de la ville, sur une sorte de plateau, s’étend un quartier très populeux, dont l’accès est (plus ou moins) assuré par une vieille route boueuse. Sur cette route se trouve un réservoir d’eau, muni d’un énorme robinet. Presque en face du réservoir, une baraque, construite avec des planches irrégulières en bois de toutes sortes et couverte d’un toit en zinc, qui fait penser à une petite boutique mexicaine. On y vend du vin, de la bière, ainsi que quelques produits alimentaires de première nécessité. Tous les jours, le soir, après le travail, pendant que de nombreux immigrés font la queue devant le réservoir, d’autres, non moins nombreux, s’entassent à l’intérieur de la boutique.

D’une légère élévation du terrain, située juste à côté de la baraque, on peut suivre du regard le prolongement de la route et découvrir ainsi un paysage impressionnant, tragique : quatre ou cinq kilomètres carrés de boue, de ronces, d’ordures et de baraques, des baraques de trois mètres sur trois, habitées presque exclusivement par des travailleurs immigrés : c’est le bidonville de Nanterre, le plus proche de Paris, juste aux portes de la capitale française. Un bidonville célèbre par le spectacle bouleversant qu’il offre à nos yeux, par le tableau terrible de misère qu’il représente et qui n’est pas sans évoquer un poème d’Agostinho Neto, poète noir angolais :

 

Des tôles fixées à des pieux

fichés en terre

forment la maison

 

Des haillons complètent

le paysage intime

Le soleil traverse les crevasses

et réveille l’habitant

 

Ensuite, douze heures de travail

esclave…

Et, dans cet amas de tôles, de boue et d’ordures, dans ce foyer infectieux, peuplé de rats et de mouches, dans ce jardin infernal, vivent des hommes, des femmes, des enfants ! […]

Deux différences, par rapport au poème : au lieu du soleil, c’est le froid, la neige et la pluie qui traversent, le plus souvent, les murs crevassés des baraques ; et ce ne sont pas douze mais plutôt quinze ou seize heures de travail d’esclave par jour !

Tel est Nanterre : une aberration du monde civilisé, une tache noire dans le paysage dur mais clair des constructions modernes, que l’on voit apparaître un peu plus loin. Un vrai marécage : l’eau de la pluie s’accumule, faute d’égouts, formant des lacs de boue. Les gens n’ont même pas le temps de voir où ils habitent : ils partent travailler de grand matin à cinq, six, sept heures au plus tard. Quand ils rentrent, le soir, il fait déjà noir ; et il faut encore aller chercher de l’eau, acheter de quoi manger, faire la cuisine… Et se coucher toute de suite après le dîner.… » (p.73-76)

Observations : La version originale du livre a été publiée sous le titre « As histórias dramáticas da emigração », Lisbonne, Prelo, 1969.

Heiny Widmer – Jürg Kreienbühl, Bâle, Editions Galerie „zem Specht“, 1982

La cour des miracles 

« Ici, j’ai vécu durant quatre ans. Un grand terrain privé, alimenté par un seul robinet d’eau, était loué en parcelles avec l’électricité pour les personnes qui la désiraient. Le patron, surnommé, ‘l’Auvergnat’, faisait la loi. Il était avare. Tous les jours, il contrôlait son compteur électrique ; si la roue marquant la consommation tournait trop vite (à son avis !), il coupait un à un, et sans prévenir, les fils électriques qui alimentaient nos misérables baraques. A nous de les rafistoler… cela se produisait tous les mois, surtout en hiver ! Combien de fois, le soir, nous mangions à la lumière d’une bougie. Une société cosmopolite s’était constituée dans cette sorte de grande cour où étaient entassés : Gitans, Algériens, Portugais, Polonais, Français, chiens, chats et rats. J’ai peint ce tableau à travers la fenêtre de mon autobus hors d’usage, qui me servait d’appartement et d’atelier. » (p. 100)

Le bidonville enneigé

 « L’hiver était dur et froid. Les points d’eau étaient gelés. Un seul robinet, entouré de paille, fonctionnait encore. Pour y parvenir, ils devaient emprunter un chemin long et glissant qui s’avérait très dangereux lors du retour avec des sceaux en plastique remplis d’eau. Péniblement, de mes doigts raides, je maniais mon crayon pour faire des esquisses. A cette époque, je peignais uniquement d’après croquis. Dans les baraquements misérables, les poêles rouillés ronflaient, débordant de boulets de la plus médiocre qualité, et pendant la journée, une fumée jaunâtre planait au dessus des taudis. De temps en temps, un Algérien qui passait me regardait avec méfiance. » (p. 103)

Observations : 

Arrivé à Paris en 1955 et ne se reconnaissant pas dans la peinture de l’Ecole de Paris (Manessier, Bissière, Soulages, Poliakoff, Vieira da Silva), c’est en pleine banlieue que le peintre bâlois Jürg Kreienbühl trouve matière à peindre. Colombes, Argenteuil, Sartrouville, Gennevilliers, Bezons, Carrières-sur-Seine et Nanterre – Kreienbühl peint là où se trouvent les bidonvilles qui entourent la capitale. Partageant le mode de vie de leurs habitants (le peintre habitera les bidonvilles de Bezons et de Carrières-sur-Seine), Kreienbühl peint les situations extrêmes de l’existence humaine. Prostituées, maquereaux, petits voleurs, cambrioleurs, gitans, étrangers sans portefeuille deviennent ses modèles, et ses amis. Jamais positionné en juge, Jürg Kreienbühl peint ce qu’il voit. Et ce qu’il voit, c’est la vie la plus élémentaire, loin de tout artifice. Avec Kreienbühl, les laissés pour compte de la ville retrouvent leur dignité. Un droit à la parole, à l’existence. La peinture de Jürg Kreienbühl opère comme le film de Dominique Dante ou comme la photographie de Cartier-Bresson et de Gérald Bloncourt : chacune de ses peintures est une histoire en soi. Et comme chaque tableau qu’il peint l’empêche d’en commencer un autre, sa peinture est évidemment aux antipodes des dizaines de clichés pris par les photographes de presse qui, au cours des années 60/70, dénoncent l’existence des bidonvilles aux portes de la capitale comme un fait-divers honteux, mais sans vraiment se préoccuper d’aller à la rencontre des habitants.

Depuis les longues années passées dans les bidonvilles de la région parisienne, Jürg Kreienbühl n’a jamais cessé de côtoyer les Portugais, qu’il connaît bien. Lors de l’importante exposition que lui consacra le Centre Culturel Suisse à Paris, en 2001, le peintre rappela qu’au moment de la destruction du bidonville de Carrières-sur-Seine (1977), majoritairement habité par des Portugais, il était intervenu à plusieurs reprises auprès des autorités françaises pour leur demander de laisser le bidonville aux Portugais, ‘qui en auraient fait un vrai village, comme ils savent le faire’, au lieu de les envoyer dans les cités de transit. Une demande forte d’autogestion à contre-courant de toute la politique d’Etat

José Vieira – Barracas, dans « La Photo déchirée. Chronique d’une émigration clandestine » (film), 2001

Barracas

« Não mentia, não falava nas casas. Dizia que estávamos bem, era o paraíso (riso sarcástico). Não ia dizer… Pronto, comecei a trabalhar e a ganhar dinheiro. Interrupção do filho, que está ao lado : Mas porque é que você não dizia que vivia em barracas ? Resposta : Ah, não ia dizer isso, tinha vergonha de dizer isso. Porque aqui vivíamos numas casinhas de aluguer, mas numas casinhas muito arranjadinhas e lá vivia na maior desgraça do mundo. Nem quero pensar naquilo que vivi : 18 meses ! Depois não, depois pronto, fui para apartamento…. » (extraits du discours, en portugais, d’une femme interviewée dans le film)

 

Baraques

« Je ne mentais pas, je ne parlais pas des maisons. Je disais qu’on allait bien, que c’était le paradis (rire sarcastique). Je n’allais pas dire… Voilà, j’ai commencé à travailler et à gagner de l’argent. Le fils, qui est à côté, l’interrompt: Mais pourquoi est-ce que vous ne disiez pas que vous viviez dans des baraques? Réponse : Ah, je n’allais pas dire ça, j’avais honte de dire ça. Parce qu’ici, au Portugal, on vivait dans de petites maisons à louer, mais c’étaient de petites maisons très bien tenues alors que là-bas,  on vivait dans la plus grande misère du monde. Je ne veux même plus penser à ce que j’ai vécu: pendant 18 mois! Après, non. Après, je suis allée vivre en appartement… » (traduction)

Observations: José Vieira nous montre des scènes évoquant les terribles conditions dans lesquelles se déroulait le “Salto” (parcours obligatoire des émigrés clandestins), des images pénibles de la vie précaire dans les bidonvilles et des témoignages actuels de personnes qui furent obligées de rentrer au Portugal parce que leur maigre retraite ne leur permet pas de continuer à vivre en France. Dans ces récits viennent s’emboîter des images du temps du gouvernement fasciste et de sa propagande, afin de souligner la part de responsabilité qui lui incombe dans ce phénomène. La France n’échappe pas non plus au règlement de comptes, surtout en ce qui concerne les conditions d’accueil inhumaines et les difficultés administratives réservées aux immigrants – des lacunes volontaires ou involontaires qui finissent par précipiter bon nombre d’immigrants clandestins dans les bras des spéculateurs du travail clandestin et des marchands de sommeil. A ce propos, dans l’espace Cinémathèque, vous trouverez la fiche du film, un extrait du film, des extraits de presse.

Deux autres films qui abordent directement la question des bidonvilles parisiens du temps des « Trente Glorieuses » et qui sont également répertoriés dans l’espace Cinémathèque : Lorette et les autres (1973), de Dominique Dante, et Les gens des baraques (1996), de Robert Bozzi.

Barracas

« Não mentia, não falava nas casas. Dizia que estávamos bem, era o paraíso (riso sarcástico). Não ia dizer… Pronto, comecei a trabalhar e a ganhar dinheiro. Interrupção do filho, que está ao lado : Mas porque é que você não dizia que vivia em barracas ? Resposta : Ah, não ia dizer isso, tinha vergonha de dizer isso. Porque aqui vivíamos numas casinhas de aluguer, mas numas casinhas muito arranjadinhas e lá vivia na maior desgraça do mundo. Nem quero pensar naquilo que vivi : 18 meses ! Depois não, depois pronto, fui para apartamento…. » (extraits du discours, en portugais, d’une femme interviewée dans le film)

 

Baraques

« Je ne mentais pas, je ne parlais pas des maisons. Je disais qu’on allait bien, que c’était le paradis (rire sarcastique). Je n’allais pas dire… Voilà, j’ai commencé à travailler et à gagner de l’argent. Le fils, qui est à côté, l’interrompt: Mais pourquoi est-ce que vous ne disiez pas que vous viviez dans des baraques? Réponse : Ah, je n’allais pas dire ça, j’avais honte de dire ça. Parce qu’ici, au Portugal, on vivait dans de petites maisons à louer, mais c’étaient de petites maisons très bien tenues alors que là-bas,  on vivait dans la plus grande misère du monde. Je ne veux même plus penser à ce que j’ai vécu: pendant 18 mois! Après, non. Après, je suis allée vivre en appartement… » (traduction)

Observations: José Vieira nous montre des scènes évoquant les terribles conditions dans lesquelles se déroulait le “Salto” (parcours obligatoire des émigrés clandestins), des images pénibles de la vie précaire dans les bidonvilles et des témoignages actuels de personnes qui furent obligées de rentrer au Portugal parce que leur maigre retraite ne leur permet pas de continuer à vivre en France. Dans ces récits viennent s’emboîter des images du temps du gouvernement fasciste et de sa propagande, afin de souligner la part de responsabilité qui lui incombe dans ce phénomène. La France n’échappe pas non plus au règlement de comptes, surtout en ce qui concerne les conditions d’accueil inhumaines et les difficultés administratives réservées aux immigrants – des lacunes volontaires ou involontaires qui finissent par précipiter bon nombre d’immigrants clandestins dans les bras des spéculateurs du travail clandestin et des marchands de sommeil. A ce propos, dans l’espace Cinémathèque, vous trouverez la fiche du film, un extrait du film, des extraits de presse.

Deux autres films qui abordent directement la question des bidonvilles parisiens du temps des « Trente Glorieuses » et qui sont également répertoriés dans l’espace Cinémathèque : Lorette et les autres (1973), de Dominique Dante, et Les gens des baraques (1996), de Robert Bozzi.

Monique Hervo – Chroniques du bidonville. Nanterre en guerre d’Algérie (préface de François Maspéro), Paris, Seuil, 2001

« Poste de police de Nanterre. Pour faire tamponner les formulaires administratifs, les Portugais de la Folie sont contraints de verser de l’argent aux agents. J’ai vu ces hommes tenir à la main leurs papiers officiels au milieu desquels étaient glissés, au su et au vu de tout le monde, des billets de banque. Interrogés, ils ont avoué que s’ils ne plaçaient pas plusieurs billets entre les feuillets de leur passeport, les agent de Nanterre les leurs réclamaient avec rudesse :  » Quoi, t’as pas compris ? Donne les sous ! » »Alors nous avons pris l’habitude », expliquent-ils. Aujourd’hui pour certifier les papiers d’un Arabe que je lui tends, l’agent exige le ‘pourboire’. Jacqueline, une Française de la localité, m’a affirmé que dans la queue où elle s’était trouvée, à ce même poste de police, le brigadier avait réclamé 50 francs au Portugais qui la précédait » – 18 mars 1960 (p.75-76)

« A l’une des extrémités de la Folie, la cabane d’un jeune couple, avec deux bambins, s’est enflammée. Il ne reste plus une planche debout. Tout est calciné. La police interdit la reconstruction. Pourtant l’incendie est consécutif au rasage des baraques portugaises et de quelques échoppes arabes, opéré par les services de la préfecture. A la fin de ce genre d’opération, les fonctionnaires font mettre le feu aux matériaux amoncelés par les bulldozers. Refus des pouvoirs publics de reconnaître la propagation accidentelle du brasier… » – 26 novembre 1960  (p.93-94)

« A l’aube, soudain de longues flammes rougeoyantes s’élèvent au-dessus des baraques de la Folie collées les unes aux autres. Dans un vieux bistrot à la devanture délavée de la rue de Courbevoie, des consommateurs sirotent leur ballon de rouge. Sourire aux lèvres. Visages impassibles. Ils contemplent les cabanes qui crament. Et dans un concert d’approbation générale, j’entends ces ouvriers interpeller la tenancière qui se précipite sur son téléphone pour alerter les pompiers :

 » Vous pressez pas. Il n’y a qu’à laisser brûler, ça en fera quelques douzaines de moins… », et :

 » Qu’ils grillent dans leurs cabanes! C’est comme des rats. » Ces Français, sans aucun doute bons pères, savent que les bicoques sont habitées par des femmes, des enfants. Devant eux, chaque jour, ils voient passer les gamins qui vont chercher l’eau à la borne-fontaine, rue de Chevreul. Ces gros rires de satisfaction sont terrifiants. Ils vous glacent d’horreur. Vos laissent impuissant devant tant de haine. » – 2 novembre 1960 (p. 88-89)

 

 

M.G. Philipp – Mille et une voix, n° 6 : Portugal Algarve, Paris, Magnard, Collection Lis tout d’ici et d’ailleurs, 1988

Extrait :

« C’est quoi, les bidonvilles ?

Une ville faite de tôles, avec des toits en tôle ; j’y suis resté cinq ou six ans. La vie en bidonville, si on la compare à maintenant, était très pénible. En hiver, il faisait froid, parfois il pleuvait dans la maison. Il y avait beaucoup de rats. Pour aller faire les commissions ou aller au marché, il fallait beaucoup marcher à pied et revenir chargé. Pour l’eau, il fallait aller à la fontaine avec les bidons, les porter à la main ou les mettre sur une charrette.

 

Et toi, tu allais chercher de l’eau ?

Oui, moi, j’allais chercher de l’eau : c’était une fontaine, on tournait la manivelle et de l’eau en sortait. En hiver, l’eau gelait : pour l’empêcher de geler, on avait trouvé un système : on mettait une cale et l’eau coulait sans s’arrêter. C’était dur ! En été, ça allait : il faisait beau, on s’amusait entre copains. Mais en hiver, il faisait froid, il fallait se chauffer au charbon. Certains hivers, j’ai vu beaucoup de travailleurs immigrés mourir à cause du gaz que le charbon laissait échapper. Les gens ne connaissaient pas ce chauffage. Ils se couchaient le soir pour se réchauffer, dormaient, mais le lendemain, ne se réveillaient pas ; les tuyaux de poêle avaient laissé échapper les gaz : on les retrouvait blancs.

De Nanterre, je suis venu à la cité, au n° 5 route du Port, la première cité qui était juste à côté de l’école et qui a été entièrement démolie pour le passage de l’autoroute. Comme j’étais marié, j’ai eu un autre logement au n° 9, avant d’habiter maintenant à l’école. » (p. 18-20)

Observations :

« 1001 voix élaborées dans le cadre d’une démarche interculturelle par des enfants, des parents, des personnes de rencontre et des enseignants, proposent aux jeunes lecteurs une confrontation avec des personnes réelles d’origines culturelles diverses dont ils découvriront les réalités. Supports d’information et de formation interculturelle, ils constituent des médiations pour ouvrir la classe à la perception de sa propre réalité pluriethnique et multiculturelle, contribuant ainsi à créer un nouvel espace de communication. » Ils inciteront les enfants à élargir et diversifier leurs références, à attribuer du sens à leur expérience, à vivre en toute légitimité leurs diverses appartenances, à construire des références communes, enfin à rechercher dans leur propre environnement les ressources éducatives qu’il recèle. » (note de l’auteur). Dans le numéro 6 de cette série, Monsieur José Carusca, homme d’entretien à l’école fréquentée par les élèves de la cité du Port de Gennevilliers, raconte son itinéraire à Habiba, Abdelkrim, Ahmed, Akheila, Djamel, Faouzi, Kamel, Latifa, Malika, Mimoun, Miloud, Mohamed, Mounir, Sonia, Soraya, élèves de CE2-CM. Les enfants découvrent ainsi une autre manière de vivre propre à une culture et à un contexte économique et social différent, ainsi que les difficultés qu’il lui a fallu résoudre pour vivre, travailler, s’insérer. Un échange riche et vrai.

Alfredo Margarido – Elogio do ‘bidonville’, in Latitudes, n°5, Avril/Mai 1999, p.14-20Alfredo Margarido – Elogio do ‘bidonville’, in Latitudes, n°5, Avril/Mai 1999, p.14-20

« Não sabemos ainda onde será mais alegre : se aqui nas barracas a beber uns copinhos e com umas cantaroladas toda a noite, se naqueles alojamentos bonitos a falar baixinho para não incomodar os franceses. » (Fala recolhida por Adelino Gouveia, in Diário de Notícias, dez. 1970 ; página redigida por emigrantes portugueses em França) (p.18)

« […] Uma parte dos emigrantes carrega consigo as condições culturais do campo português, que não só não possui nem tradição nem cultura urbanas, mas nem sequer conhece muito bem as diferentes funções do Estado. […] (Regista-se) durante a primeira fase da vida em França e particularmente em Paris, a necessidade de uma forte coesão, única maneira de assegurar a transferência de uma sociedade eminentemente rural, para uma metrópole urbana como sempre foi uma cidade como Paris. O génio português não reside na exaltação da saudade, como ainda se pretende, mas antes na capacidade de adaptação a condições sociais e a tarefas técnicas que não pertenciam ao sistema dos valores rurais portugueses.

É nestas condições que podemos registar a intervenção, quando não a invenção do ‘bidonville’. […] sistema de urbanização da colectividade : o grupo assegura desta maneira a sua autonomia, face à sociedade dominante, que os sociólogos teimam em designar como sendo ‘la société d’accueil’, a sociedade de acolhimento, quando na verdade, e quase sempre, se trata da sociedade que repele ou rejeita. Compreende-se por isso que o gueto, de que o bidonville é uma expressão moderna, possa surgir como solução adoptada pelos emigrantes, perante as condições que lhes são oferecidas pela sociedade onde sobretudo pretendem trabalhar. » (p.15-16)

Traduction : “Nous ne savons pas encore ce qui est plus gai : si c’est ici, dans les baraques, en buvant des coups et en chantonnant toute la nuit, si c’est dans ces beaux logements, où il faut parler tout bas pour ne pas déranger les Français. » (Dires recueillis par Adelino Gouveia, in Diário de Notícias, déc. 1970; page rédigée par des immigrants portugais en France)

[…] Une partie des émigrants transporte avec eux la culture rurale portugaise ; non seulement ils ne possèdent pas de tradition ni de culture urbaine, mais ils ne connaissent pas vraiment les différentes fonctions de l’Etat. […] (On enregistre) durant la première phase de leur vie en France et particulièrement à Paris, le besoin d’une cohésion forte comme seul moyen d’assurer le passage d’une société éminemment rurale vers une métropole urbaine comme Paris. Le génie portugais ne réside pas dans ‘l’exaltation de la saudade’, comme on continue de prétendre, mais plutôt dans la capacité d’adaptation à des conditions sociales et à des tâches techniques qui n’appartenaient pas à l’univers rural portugais.

C’est dans ces conditions qu’on enregistre l’intervention, sinon même l’invention du bidonville. […] système d’urbanisation de la collectivité: de cette manière, le groupe garantit son autonomie face à la société dominante que les sociologues persistent à désigner comme étant la « société d’accueil », alors qu’en vérité il s’agit, presque toujours, de la société qui repousse ou qui rejette. On comprend ainsi que le ghetto, dont le bidonville est une expression moderne, puisse surgir comme solution adoptée par les émigrants face aux conditions qui leur sont offertes par la société où ils prétendent surtout travailler. » (p.15-16)

Observations:

Alfredo Margarido fait partie de ces intellectuels portugais qui, pour des raisons politiques, ont longtemps vécu à l’étranger. Auteur d’une œuvre multi facettes et à contre-courant, Alfredo Margarido est avant tout un libre penseur concerné par les problèmes de société et leurs questions affines, ethnologiques, anthropologiques, culturelles. Le numéro que lui consacre la revue Latitudes (n° 24, septembre 2005) permet de découvrir l’étendue des domaines explorés par l’auteur. Durant son exil à Paris, où il arriva en 1964, Alfredo Margarido fut un des rares intellectuels portugais à prendre position par rapport à l’impressionnant flux migratoire qui allait caractériser les années 60. Mais il fut, surtout, un des rares à ne pas porter un jugement sur ses compatriotes qui vinrent aider à peupler les quelques 170 bidonvilles existant alors aux alentours de Paris. Tout en portant un regard critique sur les politiques portugaise et française à l’origine de cet exode et des conditions dans lesquelles il se déroulait, A. Margarido chercha, par ailleurs, à comprendre ce qui pouvait pousser les Portugais à résister au démantèlement des bidonvilles lorsque les autorités décidèrent leur résorption (lois Debré, 1964, et Nungesser, 1966).

A propos de la résorption des bidonvilles et des luttes menées par les habitants, voir le film « Lorette et les autres », tourné par Dominique Dante en 1973 (fiche disponible dans l’espace cinémathèque).

« Não sabemos ainda onde será mais alegre : se aqui nas barracas a beber uns copinhos e com umas cantaroladas toda a noite, se naqueles alojamentos bonitos a falar baixinho para não incomodar os franceses. » (Fala recolhida por Adelino Gouveia, in Diário de Notícias, dez. 1970 ; página redigida por emigrantes portugueses em França) (p.18)

« […] Uma parte dos emigrantes carrega consigo as condições culturais do campo português, que não só não possui nem tradição nem cultura urbanas, mas nem sequer conhece muito bem as diferentes funções do Estado. […] (Regista-se) durante a primeira fase da vida em França e particularmente em Paris, a necessidade de uma forte coesão, única maneira de assegurar a transferência de uma sociedade eminentemente rural, para uma metrópole urbana como sempre foi uma cidade como Paris. O génio português não reside na exaltação da saudade, como ainda se pretende, mas antes na capacidade de adaptação a condições sociais e a tarefas técnicas que não pertenciam ao sistema dos valores rurais portugueses.

É nestas condições que podemos registar a intervenção, quando não a invenção do ‘bidonville’. […] sistema de urbanização da colectividade : o grupo assegura desta maneira a sua autonomia, face à sociedade dominante, que os sociólogos teimam em designar como sendo ‘la société d’accueil’, a sociedade de acolhimento, quando na verdade, e quase sempre, se trata da sociedade que repele ou rejeita. Compreende-se por isso que o gueto, de que o bidonville é uma expressão moderna, possa surgir como solução adoptada pelos emigrantes, perante as condições que lhes são oferecidas pela sociedade onde sobretudo pretendem trabalhar. » (p.15-16)

 

Colette Pétonnet – On est tous dans le brouillard, Paris, C.T.H.S., 2002

« Si la boue et les intempéries gênent l’observation, en revanche la vision du bidonville l’été donne la clé d’un mode d’habiter encore rural dont la caractéristique est d’intégrer le dehors. Mais se hâter de conclure à un habitat rural serait une erreur. Comme le bidonville sans son ensemble délivre les messages d’un groupe, l’habitation proprement dite est le langage individuel de gens placés dans une situation biculturelle, de gens soumis au changement. L’habitation est l’expression topique de désirs contradictoires et d’un mode d’être en mutation, et, comme telle, aussi variée que les individus auxquels elle convient à un moment donné de leur histoire.

José, le frère de Jorge, relogé par son employeur dans un de ces logis ouvriers construits après la guerre en matériaux légers, nous présenta sa maison en ces termes : « Elle n’est pas formidable, mais il y a beaucoup de terrain. » Et derechef, avant d’entrer, il nous fit visiter son jardin et les dépendances qu’il y avait construites.[1]

Il résumait ainsi une conception de l’habiter toute paysanne, celle qui, autrefois, à cause de la présence des bêtes et des grains, consacrait peu de place à la maison réservée au gîte, la vie se passant aux champs, et qui dispersait à l’extérieur, dehors ou sous un « toit », une grande partie des activités domestiques.[2] Les dépendances contenant tout ce dont l’homme avait besoin pour se nourrir et travailler, celui-ci était habitué à passer continuellement du dedans au dehors, chaque fois qu’il voulait du vin, du bois ou un outil. » (p. 91)

Observations :

Cet ouvrage est la réédition de la thèse d’Etat de l’ethnologue, dont une première version tronquée parut en 1979. Le chapitre traitant des espaces (bidonvilles, cités et quartiers populaires), résumé alors en une vingtaine de pages, ne fut repris dans son intégralité que trois ans plus tard, en 1982. Ces deux publications distinctes de la même œuvre renvoient au contexte idéologique et politique français entre 1970 et 1980, avec l’émergence des théories du nouvel urbanisme et la volonté d’éradication de l’habitat insalubre. Les logements spontanés, traces honteuses d’un reste de pauvreté qu’on veut à tout prix résorber, sont alors systématiquement détruits. Or, Colette Pétonnet démontre que les bidonvilles peuvent être des lieux de vie dignes, dont la disparition, et le remplacement par un habitat normalisé, constituent pour leurs résidents une violence et une aliénation et renforcent encore davantage les processus de paupérisation et de marginalisation.

« Rédigé dans un style très direct et d’une lecture particulièrement attachante, ce livre rompt avec les modèles traditionnels de la sociologie ou plutôt, sans les ignorer, il les habille de faits cueillis au ras de la réalité la plus concrète. On est frappé par la profonde compréhension humaine dont Colette Pétonnet fait preuve et par la qualité de sa connaissance intime du milieu dans lequel, plusieurs années durant, elle a élaboré son ouvrage. […] L’état d’aliénation matérielle dans lequel sont tenus les habitants des cités de transit vis-à-vis des autorités administratives dispensatrices des différents types de logement a conduit Colette Pétonnet à dégager les qualités humaines de l’habitat en bidonville, ce qui laisse le lecteur un peu perplexe. Pourtant, sur un point important, l’auteur a raison : la libre construction de son habitation, son extension éventuelle, les contacts privilégiés avec les membres du groupe dont les liens de parenté ou d’amitié sont l’essentiel font à l’immigrant un environnement humain positif, qui l’oriente vers des formules de vie vivables. » (préface d’André Leroi-Gourhan, p .15-16)

A lire également l’interview de Colette Pétonnet par Thierry Paquot, réalisée il y a dix ans (1995) : www.univ-paris12.fr/iup/8/urbanism/881/petonnet.htm.


[1] Le potager

[2] La fermière, par exemple, lavait le linge dans le “toit” où l’on cuisinait la pâtée des cochons. Elle plumait un poulet sous le hangar.